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   Gabriel regardait pensif par la fenêtre du grenier. Les étoiles éparpillées dans le ciel noir d'encre, lui offraient une vue chaleureuse, accompagnée du concert apaisant des grillons. La nuit lui renvoyait une brise fraîche, et le silence flottait, gracieux, autour de lui.
Il se sentit dans un autre monde par rapport à la ville, à l’usine. Il tâta son flanc. Il ne lui faisait presque plus mal.

   Dans la pénombre du grenier de la grande maison, le jeune ouvrier entendait les doux éclats de voix de la jeune fille qui conversait avec la femme qui habitait avec elle. Une « domestique » avait-elle dit.
Elle avait également ajouté que cette dernière ne devait absolument et en aucun cas voir le jeune homme. En cas contraire, elle lui avait assuré qu’il serait retourné directement d’où il avait fui.
Et cela n'enchantait guère le jeune ouvrier.
Aussi, Gabriel restait silencieux dans le grenier tiède, et attendait patiemment que la jeune anglaise vienne le rejoindre.

   Il appréciait sa compagnie, il ne sut dire pourquoi. Il ne la connaissait pas, pourtant ils étaient devenus tout de suite proches. Il n’avait jamais connu de jeune femme aussi belle et gracieuse qu’elle. Elle était intelligente, attentionnée, douce.
Comme il aurait voulu ne plus partir de ce fragment de paradis où la nuit était chaude et où son estomac était rassasié. Et là où il avait connu cet ange au sourire de sucre.

   Il sentit un frisson de surprise lorsque, quelque temps plus tard, il entendit la chape de bois s’ouvrit avec un doux grincement. Il ne se retourna pas, craignant de croiser son regard.
Il entendit derrière lui la jeune fille se hisser sur le plancher et refermer la trappe en plongeant le grenier de nouveau dans la quasi-obscurité.  

   Il osa lever les yeux vers elle alors qu’elle le rejoignait au bord de la fenêtre. Ils furent tous deux caressés par les rayons glacés de la lune qui illuminait le ciel tel un halo de candeur.
Emily s'assit et entoura ses jambes de ses bras, puis se recouvrit d’un châle brun.

   Elle regarda quelques minutes au-dehors avant de se tourner vers Gabriel.
— Que comptes-tu faire ? Demanda-t-elle.
Gabriel resta silencieux. La douce voix caressa à nouveau son cœur meurtri. Il sentit ce noyau de chaleur répendre doucement ce liquide chaud dans ses veines. Il avait cessé de trembler.
Le regard d’Emily regarda à nouveau parmi les étoiles, laissant le silence occuper l’espace entre eux.
— Je dois continuer mon chemin. Je ne peux pas m'attarder ici.
Le bruissement des feuilles au-dehors suivit les paroles de Gabriel.
Ils restèrent tous les deux à l’écoute des chants de la nuit. Ces mots-là lui blessèrent encore davantage le cœur qu’il n’aurait cru. Sa gorge se serra encore plus qu’avant.
— Où comptes-tu aller ? Comment ? Tu n’as pas de vivres, pas d’argent, pas de logement.
Gabriel dut admettre qu’elle disait vrai. Il n’y avait pas pensé.  
— Je me débrouillerai, ne t’inquiète pas. J’irai à Londres trouver du travail.
Emily soupira. Gabriel aperçu avec surprise cette vague de tristesse qui s’échappait de ce soupir.

   Il se détacha de la contemplation des étoiles pour la regarder de ses yeux gris.
— Je vais te manquer ? Dit-il avec une pointe d’amusement.
Emily marqua une pause avant de répondre.
— Oui, peut-être. Je pensais avoir trouvé quelqu’un avec qui passer du temps. Mais je vais visiblement redevenir seule.
Gabriel resta silencieux. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle tienne véritablement à lui. Comme il s’en voulait de l’abandonner. Il l’aurait voulue près de lui. Il aurait voulu la protéger. Être son véritable ange gardien.
— Viens avec moi.

   Il prit soudain conscience de ce qu’il venait de dire.
Qu’est-ce qu’il lui avait pris de proposer un truc pareil !

   Emily le fixa, étonnée. Puis, sembla soudain gênée, car elle se leva brusquement. Elle venait de briser la bulle d’intimité qui s’était pour la première fois formée autour d’eux. Il l’avait brisée. Qu’avait-il fait ?
— Je… je ne sais pas. Se limita-t-elle à dire. Il y a un matelas à côté et des couvertures dessus. Tente de dormir si demain tu dois repartir.
Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais la referma aussitôt. Elle se dirigea vers la trappe en bois. Puis, soudain, avant de disparaître complètement, elle regarda Gabriel une fois.
— Bonne nuit, murmura-t-elle avec un sourire.
— Bonne nuit, dit-il à son tour, alors qu’un sourire timide se dessinait sur ses lèvres, caché par l’obscurité.

   Il la suivit des yeux alors qu’elle le laissait seul dans le grenier.
Il resta immobile, le regard encore fixé à l’endroit où Emily était partie.
Puis il se leva à son tour et traîna le matelas en mousse jusque sous la petite fenêtre. Il s’allongea dessus, et continua de regarder le ciel noir d’encre.
Le chant des grillons flotta parmi ses pensées.
Un hibou chuchota dans la nuit.

   Le jeune ouvrier ferma les yeux en se demandant comment diable avait-il pu proposer à la jeune anglaise quelque chose d’aussi dangereux que de l’accompagner.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 16, 2018 ⏰

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