Soliloque d'une étudiante cartésienne

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Moi, super-méchant, je vais...

Attendez un peu... Super-méchant ? Qu'est-ce que ça veut dire exactement, à part que c'est un terme on ne peut plus cliché ? Que l'on est foncièrement méchant, et que l'on a des pouvoirs extraordinaires ? Navrée de vous décevoir, mais je ne suis pas l'un, et je ne possède pas les autres. Et je ne suis pas non plus anormale. J'ai juste beaucoup d'idées qui traversent mon esprit et me donnent l'irrésistible envie de les tester. Autant vous dire que je n'ai pas chômé, ces dernières années, entre mes études, les associations caritatives et mes idées. Mais, que voulez-vous ? J'ai besoin de faire des expériences et d'analyser leurs résultats. Même si je n'aimerais pas que ceux-ci soient un jour publiés. Allez expliquer aux parents dont les enfants ont été dans la même école maternelle que moi, que si leur progéniture a des séquelles psychologiques, c'est à cause d'une de mes expériences... Mais je ne suis pas, et ne serai jamais, une super-méchante. Je ne suis qu'une scientifique qui a régulièrement besoin de sujets d'expérience. Voyez-vous, je m'intéresse beaucoup au désespoir. Comment des individus, confrontés à un gouffre sans fond, réagissent-ils ? Pourquoi certains deviennent apathiques ? Ces questions me fascinent, et depuis des années, je n'ai de cesse de les étudier. Jusqu'à présent, toutes mes recherches ont été menées avec la rigueur la plus scientifique. Pas question de laisser un élément fausser une observation. Ce serait une perte de temps et de matériel. De plus, répéter les expériences me prendrait bien trop de temps et attirerait une attention malvenue sur moi. Il ne faudrait tout de même pas que ma scolarité en pâtisse. Je n'ai donc réalisé que de menues expérimentations, incluant certains habitants du quartier. Étrangement, le taux de suicide y a augmenté, ces deniers temps... Depuis, je suis passée à des expérimentations un peu moins triviales. Une rumeur veut que les ondes des téléphones portables aient quelques effets sur le cerveau, provoquant de l'anxiété, et une deuxième rumeur indique que la première est vraie. Les virus informatiques sont aussi captivants : il est possible de faire tant de choses avec ! Mais pour l'instant, je ne m'en tiens qu'à quelques futilités, comme le botnet que j'ai créé de toutes pièces. Il ne me sert qu'à faire un peu de calcul supplémentaire et d'obtenir au passage de menues informations. Enfin, le domaine des neurosciences ne m'intéresse que depuis peu, mais quelle mine d'or ! Prenez par exemple la sérotonine. Suite à une conversation avec un chercheur de mon université, il est apparu que cette molécule pourrait grandement m'aider dans mes recherches. Elle joue en effet un rôle capital dans la « régulation de l'humeur ». Selon vous, que se passerait-il si l'on réunissait ces trois domaines ? Les êtres humains sont constamment collés à leurs écrans, c'est un fait. Mais si toutes leurs machines émettaient sans cesse des ondes ayant des effets sur le cerveau, et plus précisément, sur les récepteurs de sérotonine, empêchant ainsi la synthèse de cette molécule... De nombreuses dépressions pourraient alors être envisageables, entraînant du désespoir. Il ne me resterait qu'à récolter des données sur la façon dont ces dépressions sont perçues et les réactions qu'elles entraînent. Cette dernière partie est de loin la plus facile. Les informations me tombent dans les bras. C'est l'un des avantages d'appartenir à une association caritative spécialisée dans les dépressions. Les personnes confient leurs malheurs, et moi, je les écoute. Après tout, n'ont-elles pas besoin d'une oreille attentive ? Je pense être devenue assez forte à ce petit jeu. Au début, il paraît que j'étais trop froide. Mais c'est dans ma nature...

Anonyme

PS : si vous êtes amenés à lire ces lignes, ne changez pas d'état d'esprit, vous pourriez faire partie de mes cobayes et cela fausserait mon expérience.

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