Chapitre 1 : La demande

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Raev se réveilla en sursaut ce matin-là. Son père grommelait dans le salon et à l'extérieur les chiens aboyaient.
Elle s'étira longuement, courbaturée de la longue promenade de la veille en forêt.
Sa suivante toqua doucement à la porte, d'une voix roque Raev lui signala d'entrer.
- Mademoiselle, Monsieur demande à ce que vous soyez prête rapidement, il attend une visite importante et tient à ce que vous soyez là. J'ai déjà préparé vos affaires.
Sans répondre, la jeune femme se leva sans grande conviction. Leah lui déposa ses vêtements derrière le paravent et attendit que sa maîtresse eu fini pour la coiffer.

Devant le miroir, Raev regardait Leah peiner avec son imposante chevelure rousse. Après toutes ces années elle ne parvenait à les dompter que difficilement.
- Sinon on peut les laisser tels qu'ils sont tu sais.
- Je ne crois pas cela raisonnable mademoiselle, il s'agit du neveu d'un ami de votre père, je crois qu'une apparence négligée ne serait pas appropriée.
- Tu crois que lui aussi portera une tresse en guise de couronne ?
- J'aimerais voir ça !
Toutes deux pouffèrent de rire. Il est vrai que ce neveu d'ami, Gontrandt, n'avait rien de fort charmant. Toutefois, Raev se devait de faire plaisir à son père bien qu'elle savait d'avance la réponse qu'elle lui laissera.

C'est ainsi qu'une demi-heure plus tard, Raev pût se présenter au salon, plus ou moins apprêtée et encore les yeux fatigués.
- À quelle heure as-tu trouvé sommeil encore cette nuit ?
- Oh... plus tôt que d'habitude je crois...
- Je t'ai entendu très tard grimper à ta fenêtre tu sais.
- Mais, à quelle heure as-tu trouvé sommeil papa ?
Les deux s'échangèrent un regard complice. Levon avait confiance en sa fille, bien qu'il craignait ses sorties nocturnes incessantes.

À la fin du petit-déjeuner, l'invité arriva tout pimpant et joyeux.
Levon lui serra la main cachant en son regard un petit air de mépris. Raev ne se donna pas la peine de dire bonjour et ils allèrent tous trois en promenade par ce temps radieux.
Tous savaient l'enjeu de la venue de Gondrandt et, à part ce dernier aucun ne semblait réellement favorable.
Celui-ci faisait parti de ce que l'on appelait les « Justes ».
Il s'agissait de familles hautement placées et proches de la famille royale depuis toujours. Les pères et mères étaient souvent conseillers auprès de celui régnant. Mais cette caste, au fur et à mesure des siècles perdit de son patrimoine suite à certaines guerres. Pendant ce temps-là, une nouvelle catégorie de riches commerçants se développa qui, justement mais péjorativement, fut nommée les « Parvenus ».
Certains purent se payer des domaines et obtenir le même rang qu'un Juste, sans le titre.
Les mariages arrangés permettaient à certaines familles Justes sans un rond de renflouer les caisses.
Il était évidemment impossible pour Levon d'imaginer sa fille ne servir que de bourse ambulante. Mais il ne put s'empêcher de s'amuser de la situation.

Raev en avait marre de sa coiffure et ne cessait de se gratter impoliment le crâne. Gondrandt l'avait bien évidemment remarqué mais semblait faire l'impasse face à ses beaux yeux verts.
Puis vint le moment tant redouté pour l'un et tant attendu pour les autres. Repousser les avances d'un Juste amusait beaucoup le père et la fille, c'était la troisième fois et ils y prenaient assez goût.
Gondrandt et Raev se retrouvèrent ainsi seuls, Levon attendant en retrait, faisant mine de regarder ses arbres.
Il se lança dans une demande des plus maladroites et Raev se mordait la joue pour ne pas rire. Cela devenait interminable et elle se détacha pour ainsi dire de la conversation étant ailleurs dans ses pensées.
C'est un hurlement de la part de son interlocuteur qui l'a rappelé à elle-même. Elle vit que Gondrandt était en train de se faire uriner dessus par un renard. Son renard. Elle ne pût contenir plus longtemps son rire. La victime du renard vit rouge et écarta l'animal par un coup de pied.
Raev s'empourpra, elle ne riait plus et s'abaissa vers le renard qui vint se blottir contre elle.
- Je suis dans le regret, Monsieur, de décliner toute demande de votre part. Veuillez s'il vous plaît prendre vos dispositions au plus vite pour rentrer chez vous.
Elle lâcha cette phrase toute préparée en un souffle sans même prendre la peine de relever la tête vers celui concerné.
En blaissant Ilwyning, il l'avait blessé au plus profond de son être.
Il ne sût quoi répondre et rouge de honte ou de colère, ou bien des deux, il tourna les talons.

En passant devant Levon il fît une légère inclination de tête que le père lui rendit rapidement gardant un rictus au coin des lèvres suite à ce qu'il avait vu.
Il rejoignit sa fille toujours assise dans l'herbe avec le renard.
- Ilwyning va bien ?
- Ça ira.
- Je ne savais pas lequel de vous deux allait lui sauter au cou ! Quelle scène, on avait pas vu cela depuis longtemps !
- Je pense qu'on lui aurait tout les deux sautés au cou, et crois-moi que sa réponse n'aurait pas été « ça ira ».
- Je veux bien te croire... Quel toupet ! Imaginer pouvoir épouser ma sauvageonne de fille. Crois-moi qu'il n'est pas né celui-là !
- Dans un sens il faudrait, tu imagines, nous aurions tout de même dix-huit ans, voir plus, de différence !
Son père lui lança un regard rieur et plein d'amour.
Tous les trois se dirigèrent vers la maison.
Contrairement à beaucoup de parvenus qui ne songeaient qu'à marier leurs filles, Levon et Raev ne s'inquiétaient pas, bien que Raev allait atteindre ses dix-huit dans deux jours, c'est à dire, sa majorité.
Leur vie leur convenait tout à fait telle qu'elle se présentait.
Levon avait connu l'amour dans son mariage et souhaitait que sa fille ne vive jamais le sien comme une contrainte.
Il voyait bien qu'elle n'était pas prête et peut-être ne le serait-elle jamais.
Il la regardait caresser Ilwyning dans le salon. Ses longs cheveux roux qu'elle avait à présent détaché se fondaient dans la fourrure de l'animal qui dormait tranquillement sur les genoux de Raev.
Levon ne pouvait s'empêcher de penser tout de même à ce que l'avenir pouvait leur réserver.

La lignée d'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant