La fin prématurée de l'adolescence

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Atteindre la sagesse, c'est accepter que la vie puisse ne pas être belle ou agréable, saturée de bonheur ou complètement faite de souffrances. La souffrance, qu'on l'accepte ou pas, elle s'impose, pire que les coups de bâton qu'un instituteur donne à l'élève pour marquer à jamais dans son esprit l'expérience de la vie, elle s'insinue partout, aucune fenêtre ou porte n'est jamais assez forte pour l'empêcher de passer, briser des rêves, mettre à nue les espoirs.

Je m'appelle Fatima, un nom prédestiné, baignée d'une aura de sainteté qui trace presque automatiquement le destin des porteurs du nom dans la voie de la sainteté. Quand un parent décide de donner un nom à son enfant, si ce n'est pour la sainteté, c'est souvent pour les qualités de l'homonyme. En grandissant, l'enfant découvre une voie qu'il ne doit jamais trahir, à force de mots et de récits, on lui dresse une ligne de conduite à suivre, il n'a pas choisi son nom, mais il a le devoir sacré de ne jamais décevoir !

Ma famille d'ailleurs fait partie de celles qui ont dans le passé tout donné pour asseoir la religion, sous la houlette des saints hommes que Dieu a béni sur cette terre. Ndar la vieille, ma ville natale fut en effet le témoin de tant d'évènements qui inscriront à jamais la foi dans le cœur des sénégalais.

De mon adolescence, la courte période où j'eus à en jouir, je me souviens à peine, de mes rares bêtises d'enfant, mais je n'ai point eu le temps de découvrir le monde des amourettes anodines, bien que je fusse (et suis toujours), d'une beauté incomparable. De mon sang maure, j'ai hérité la finesse des traits et le teint clair, mes yeux, menus, aux courbes de lune renversée et mes lèvres de vamp me donnent un visage agréable, qui, si je n'avais pas eu le destin d'un mariage trop tôt, m'aurait donné, en mes vingt ans, une myriade de prétendants. Je souris même à cette éventualité, n'ayant pas eu le temps de grandir, je ne sais même pas quel sentiment m'aurait animé à être autant courtisé.

Il y'a tant de choses évidemment que je ne saurais jamais de la vie des adolescents, du jour au lendemain j'ai sauté un énorme précipice temporel pour apprendre carrément à être adulte avant l'heure.

A l'aube de mes quinze ans, un marabout a voulu que je fasse honneur à sa famille, je devais épouser son fils pour que de l'union de nos deux familles saintes naisse de vrais waliyas, entendez par là des aimés de Dieu. Mon père, bien qu'il me vouât un amour paternel sans réserve ne pouvait que se résoudre à accepter, contre sa volonté, car entre les familles il y'a une vielle promesse qui veut qu'aucune d'entre elle ne refuse les vœux de l'autre.

Je me souviens qu'au retour de l'école, un jour très ensoleillé, la chaleur avait fini de me terrasser, j'ai voulu arriver très vite à la maison, prendre un bain et dormir un peu avant quinze heures, heure traditionnelle où nous étions regroupés pour l'apprentissage des saints versets dans l'arrière-cour de notre vaste demeure, sous la houlette de mon père. Malgré la fatigue, j'étais heureuse d'arriver enfin, le visage rayonnant de ma mère fut une véritable brise. Je me dirigeais vers elle, innocente, gaie oubliant même l'ardeur du chemin éloigné de l'école.

- Yaye, tu as acheté de la glace ? Je meurs de chaleur ! Et puis tu as préparé quoi pour déjeuner, hum ça sent bon !!!

- Ma petite fille chérie, va voir dans le pot sur le pied du lit dans la chambre, bois à satiété, ensuite va prendre un bain et habilles toi avec les habits que j'ai posé sur le lit, le tailleur vient de les amener. J'ai une très bonne nouvelle pour toi, d'ailleurs, j'ai préparé spécialement pour toi ce bon plat de poulet.

Mon éducation n'a jamais inclus la curiosité, je me devais seulement d'obéir à maman, mon innocence aidant, je ne me demandai pas outre mesure ce qu'était la bonne nouvelle. J'obtempérais et fus quasi heureuse de mes nouveaux habits aux couleurs chatoyantes. Quand je terminai de m'habiller, ragaillardi par mes nouveaux atours et l'eau du bain, je me précipitai vers la cuisine pour aider maman.

Fatima un mariage à 15 ans !Where stories live. Discover now