Les jours qui suivirent ne furent pas différents de mon quotidien, se lever aux aurores, prier, balayer la cour, aller prendre mon bain, me préparer, aller à l'école, rentrer aider maman dans la cuisine. Je ne constatai rien de changeant en moi qui devait me dire « tu es mariée » ! A l'école, par contre, les professeurs étaient devenus très prévenant avec moi, plus respectueux par rapport à mes camarades, certains mêmes m'appelaient « madame », ce qui n'était pas pour me déplaire, cet ascendance par rapport à mes copines de classe était plutôt plaisant.
Mon mari Cheikh Omar venait de temps en temps nous rendre visite et repartait toujours le même jour. On était jamais seul, toujours entourés de la famille, prenant le repas de la mi-journée, je préparais ensuite du thé.
Je l'aimais bien cet homme affable, avec sa silhouette longiligne, son visage rayonnant de tendresse, le sourire toujours mi ouvert relevant sa petite moustache. Il parlait si doucement que j'en étais allé à aimer l'entendre parler, sa voix suave et convaincante enroulée de foi dans chaque mot qui sortait de sa bouche.
La première fois qu'il était venu, mon père m'avait appelé pour me dire « sa dieukeur mongui ni », voilà ton mari. C'est à peine si j'ai osé le regarder, ma mère me commandant de lui apporter vite de l'eau. Puis je suis restée agenouillée aux pieds de ma mère.
A la veille de l'anniversaire de mes seize ans, son père Cheikh Ahmadou est revenu à la maison. Cette fois, il a été accueilli sur la véranda, mon père et quelques personnes qui étaient avec lui s'étaient assis à même la natte étalée. Ma mère s'activait comme à l'accoutumée à servir du lait caillée préparé à la va vite pour honorer l'invité.
Ils restèrent longtemps à parler. De la chambre de maman où nous nous étions retranchés avec elle, nous entendions les bribes de la conversation. Apparemment, il s'agissait de m'amener à la maison de mon mari et mon père tenait à ce que je restasse encore un peu, terminer mes études, avoir mon brevet tout au moins. Et Cheikh Omar de lui assurer que sa fille quittait un père pour aller trouver un père, que tout ce qu'il avait comme ambition pour elle, lui il l'aurait et le garantira.
Il se passa un laps de temps où le silence s'installa, plus personne ne parlait. Mon père entra dans la chambre de maman, s'assit et entama la conversation avec elle, ignorant notre présence.- Adji Coumba, Cheikh Omar est venu pour amener ta fille chez son mari. Moi je suis pour qu'elle reste encore un peu, avoir son brevet, que tu termines son éducation.
- Aladji Gora, danga kheur ci dom rek, tu aimes trop tes enfants, particulièrement Fatima. Mais en âme et conscience, tu sais que sa place est auprès de son mari, amatoo ci mom dogal, tu n'as plus d'autorité sur elle, dès l'instant où tu l'as donné en mariage. C'est à son âge que tu m'as épousé et tu n'aurais pas aimé que mes parents refusent que je te rejoigne dans la demeure conjugale, laisse les l'amener !
- Sokhnaci, tu as peut être raison, mais regarde notre fille, elle est si petite, elle n'a d'ailleurs aucune expérience de la vie hors de cette maison, cela me chagrine qu'elle dût aller aussi loin, Dakar est si éloigné de Saint Louis.
- Fatima est ma fille, tout ce que tu aimes en moi comme femme de bonne famille, je l'ai mise en elle. Elle a appris à ne jamais se plaindre, à vivre dans le respect de l'autorité. Elle est la fille de Aladji Gora Niang fils de mukhadam, connu partout dans cette contrée du nord pour sa connaissance des textes sacrés, un érudit respecté, et tu lui a appris ce que la religion commande et recommande, alors rassures toi, prononce le nom de Dieu et fais ce que ta foi te dicte !
- Tu dois avoir raison Adji ... je m'en remets à Dieu.
Ces mots il les prononça en me regardant, les yeux presque embués de larmes. Il me prit les mains et à forte dose de litanies, pria longtemps pour moi.
Mon être entier venait de réaliser en cet instant solennel, désormais plus rien ne serait plus pareil ! Pour la première fois depuis mon mariage, j'avais peur. Mon cœur battait la chamade, le pire, c'est que je ne savais pas de quoi je devais avoir peur.
Lors des préparatifs de mon départ, j'ai beaucoup pleuré, tant et si bien que mon beau père Cheikh Ahmad me prit en pitié. Dans la voiture, il a insisté pour s'asseoir sur la banquette arrière, à côté de moi, me tenant tendrement contre lui, me rassurant par mille mots, mais ce fut déchirant de quitter mon père, ma mère, mes frères et sœurs, ma famille, mon terroir, tout cet univers que j'avais toujours connu.
A notre arrivée au domicile conjugale, la nuit était déjà avancée, les seules fois où je suis restée éveillée aussi tard furent les nuits de cérémonie religieuse, et même en ces occasions, ma curiosité s'éteignait souvent sur les pieds étalés de ma mère où le sommeil me prenait jusqu'au petit matin.
Mais aujourd'hui, devant cet inconnu où me menaient des inconnus, aucun sommeil ne me prenait, mon cœur battait si fort dans ma poitrine, j'étais presque en transe, tentant tant bien que mal de cacher ce tremblement qui avait fini de prendre possession de mon corps.
Puisque j'étais chez une famille maraboutique, aucun cérémonial n'était préparé pour l'accueil ; d'ailleurs, je n'avais aucun accompagnant de ma famille avec moi lors du voyage.
Mon mari est sorti m'accueillir, toujours avec ce mi sourire qui le particularisait, mais c'est mon beau père qui me prit par la main, me fit monter les escaliers pour me faire entrer dans la chambre conjugale. Il me fit m'asseoir et me tint ce discours :
- Ma fille, rassures toi, tu as quitté une famille qui est tienne pour venir dans une autre famille qui est tienne. Tu seras aimée autant que tu as été aimée chez toi, désormais je suis ton père, tu n'auras pas à t'inquiéter pour quoi que ce soit. En même temps je suis ton ami dans la maison, tu pourras tout me dire.
Il se tourna vers son fils assis juste à sa gauche et lui dit :
- Cheikh Omar, voilà ta femme ! Souviens-toi, elle a tout quitté pour venir chez toi, regarde la bien, c'est une enfant, ne lèves jamais la main sur elle, jamais. Ton rôle sera de parachever son éducation, d'en faire une amie et non un adversaire, dès cet instant tu deviens et son père et sa mère, son frère et sa famille. Elle est de bonne famille et a appris les saints versets, fais-en sorte qu'elle s'applique davantage dans la pratique de la religion, mets la dans les conditions idoines pour devenir une femme entière. Si tu suis mes recommandations, tu verras les résultats, elle te donnera une bonne famille, des enfants que tous t'envieront ! Il est tard, je te laisse avec elle, Dieu vous protège. Fatima, s'exclama-t-il en se tournant de nouveau vers moi, ba soubak diam inchallah, à demain s'il plait à Dieu.
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Fatima un mariage à 15 ans !
Short StoryFatima est une adolescente même pas sortie de ses rêves d'enfants quand elle fut donnée en mariage. Le mariage, parlons en, cet univers d'adulte où le bonheur se cherche dans un labyrinthe jonché d'épines. Dans cette histoire, nous suivons les périp...