22h - Rapprochement

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« V ! Dépêche-toi ! Nouvelle chanson ! »

Putain mais elle va me laisser pisser ou bien ? Le truc chiant avec la bière, c'est que ça donne envie d'uriner. Le truc cool, c'est que c'est désinhibiteur ce qui fait qu'en une trentaine de minutes, je commence un peu à me faire à la présence d'H.

J'entends H s'agiter dans les toilettes mixtes et donner des petits coups sur ma porte.

- Allez V !

- Tu veux venir me la tenir c'est ça ?! J'ai besoin de concentration miss !

- Ah ouais ? Attends. Pissssssss !

- Gamine.

Les coups reprennent sur ma porte que j'ouvre violemment, manquant de faire tomber la jeune femme sur moi.

- Attends, je dois y aller moi aussi !

- T'es sérieuse ? demandé-je avant qu'elle ne me pousse d'un coup d'épaule pour s'engouffrer dans les toilettes.

Je me dirige vers les lavabos, lave mes mains et constate qu'il n'y a plus d'essuie-main alors comme un con, j'agite mes mains avec frénésie pour les sécher. Je regarde rapidement mon reflet dans le miroir et découvre mes cernes mais surtout cet air mi- serein mi- déprimé que je hais tant chez moi.

Je tire sur mes petites boucles brunes, histoire d'avoir l'air un minimum coiffé, jusqu'à ce qu'on me pousse légèrement sur le côté. H prend ma place pour se laver les mains et s'attarde un instant en regardant mon reflet avec un air neutre.

- Vert.

- Hein ?

- Tu as les yeux gris-verts non ? Merci les néons.

- « Merci néons ».

- Gamin. Tu as de la chance, moi mes yeux sont tellement banals alors que les tiens sont... magnifiques.

Je baisse la tête instinctivement pour cacher ma gêne alors que H se met à sautiller, attendant que l'on quitte enfin ces toilettes pour rejoindre la salle de concert.

Mes yeux sont « magnifiques » ? Même mon ex ne m'a jamais dit ça... Et merde j'ai repensé à elle. Heureusement que l'énergique « H » me change les idées.

En deux heures, l'ambiance est montée d'un cran. La foule se déchaîne devant le groupe de funk et surtout devant la chanteuse qui vient de balancer sa veste et reste en débardeur.

H et moi arrivons à nous approcher assez de la scène pour être tout de suite entraînés par la musique et danser en rythme. La voix sensuelle de la chanteuse donne un sens à chacun de nos mouvements et lorsque mon regard croise celui d'H, je n'arrive pas à m'en décoller.

Ses yeux de tueuse me happent. Ses cheveux ondulés s'agitant dans tous les sens m'hypnotisent. Et lorsqu'elle ferme ses paupières pour se concentrer sur l'ondulation de ses hanches... Son corps m'attire vers elle.

Pourquoi cet effet ? Comment expliquer cela ? Quand des inconnus en soirée se laissent entraîner par la musique, par la danse et par l'alcool, il arrive un moment où la raison se faufile dans un petit coin de notre cerveau. Un moment où la tristesse s'efface et où plus rien n'a d'importance que le moment présent. H semble vivre « le moment présent » et arrive à réveiller mon côté spontané trop longtemps absent de mon esprit.

Sans même m'en apercevoir mes mains étaient allées la chercher et, posé sur sa taille, suivaient ses mouvements.

Mais H a repris le contrôle et a soudainement changé d'expression en chassant mes mains de son corps. Elle est en colère.

Merde. Qu'est-ce qui m'a pris ?

La chanson s'arrête et les applaudissements retentissent dans la salle mais mon cerveau en fait abstraction, concentré sur la réaction d'H et désireux de savoir pourquoi elle est si en colère. Subitement, elle détourne ces yeux de moi et me fait signe du doigt de la suivre au fond de la salle, non loin du bar, où la musique est beaucoup moins forte.

Lorsqu'elle s'arrête et s'appuie contre le mur derrière elle, je sens bien qu'elle est tendue mais bizarrement, je sens que mon geste n'en ait pas la seule raison...

- Désolé H si mon geste t'a gêné, commencé-je pour prendre les devants, c'est juste que... Je ne sais pas, c'était l'ambiance, la danse, tout ça quoi. C'est vrai que nous sommes des inconnus et je n'avais pas à faire ça.

- Hm. Je suis plus en colère contre moi que contre toi.

Son air sérieux et songeur me surprend, me laissant voir une autre facette de cette fille que je pensais être seulement une excentrique qui se fout de tout.

- Pourquoi ? Tu sais j'ai juste posé mes mains sur toi, je ne t'ai pas t-

- Je suis en couple. Depuis deux ans.

- Ah.

- Il fallait que je te le dise pour ne pas que tu... te méprennes sur moi et mes intentions.

- Hm je vois. Et il est où ton copain ?

- Pas là. Ce n'est pas son genre les concerts. Sortir en général, ce n'est pas son genre.

- Ok. Tu m'excuses je dois... aller pisser.

- Ah euh... ok.

Je regarde une dernière fois la fille qui en même pas deux heures avait réussi à me perturber, si ce n'est m'envoûter avec ses yeux, et bifurque en direction du patio.

Elle est prise alors il faut s'en éloigner. Règle de survie pour éviter de foutre la merde dans un couple : fuir tant qu'il en est encore temps.

Et en l'espace de quelques minutes, éloigné de ma nouvelle bouée de sauvetage temporaire, je dérive et me noie dans cette mer de souvenirs entre moi et mon ex qui me brise toujours plus le cœur.

Je suis à deux doigts de me noyer.

Merci pour ce souvenirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant