Les effluves de bière commençaient à se répandre dans la taverne, et Nera se demanda si elle ne devait pas partir avant qu'une stupide bagarre entre deux mercenaires alcoolisés n'éclate. La chope qu'une jeune serveuse déposa devant elle l'en dissuada rapidement, et Nera décida de rester pour le moment. Elle pourrait même se battre un peu, si l'occasion se présentait. A cette pensée, un léger sourire étira les lèvres de la jeune femme ; cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas défoulée contre des hommes.
Elle s'adossa un peu plus contre le mur et profita de son ample capuche noire qui cachait ses yeux pour inspecter la taverne. Quelques tables rondes, des chaises abîmées, des tentures douteuses, des bougies à moitié fondues un peu partout. Quelques ivrognes étaient affalés sur leurs tabourets, des paysans jouaient aux cartes. Le ménestrel,un demi-elfe, à en croire la forme de ses oreilles, maniait un instrument compliqué qui produisait un son chaleureux. L'archétype même de la taverne de petit village. A droite, derrière le bar, le patron essuyait distraitement un verre en scrutant les clients avec ses petits yeux fourbes. Il devait avoir la quarantaine, et il était bâti comme un géant. Enfin, un vrai géant faisait cinq mètres de plus et ne serait pas propriétaire d'une taverne, mais l'homme était plutôt carré.
Nera porta la chope à ses lèvres et but une petite gorgée. La bière d'ici n'était pas mauvaise, mais celle de Jilo'har était nettement meilleure. Alors qu'elle sentait l'alcool réchauffer peu à peu sa gorge, Nera posa nonchalamment ses pieds sur la table. Le tenancier la fusilla du regard avant de reprendre son essuyage méticuleux. La jeune femme se contenta de lui sourire, puis elle tourna son regard vers les paysans en plein jeu. L'un d'eux vociférait en insultant les autres de menteurs, pendant que ces derniers riaient aux éclats. Nera se surprit à sourire. L'amusement était si rare en ces temps sombres, une guerre pouvait éclater entre les royaumes à tout moment.
Il régnait des tensions grandissantes entre la contrée de Hélérie et de Belrad depuis plusieurs années, mais leurs différends s'étaient aggravés ces derniers mois, à cause d'un problème compliqué entre les familles seigneuriales et leurs héritiers. Les habitants de Skirgatt, une immense île au nord qui comptait aussi de nombreuses archipels, ne s'inquiétaient pas de la situation politique du reste du monde, mais son dirigeant comptait bien tenter sa chance et essayer d'envahir la Hélérie, qui était quelque peu bouleversée à cause des problèmes avec les autres royaumes. Certaines rumeurs prétendaient que les Skirgattes avaient réussi à réveiller les géants des montagnes et qu'ils s'en serviraient pour soumettre le monde, d'autres assuraient qu'un élevage clandestin de dragons existait en Belrad, tandis que d'autres encore annonçaient la venue d'une mystérieuse créature sous-marine qui détruirait l'île de Skirgatt. La majeure partie de tout ce qui parvenait aux oreilles de Nera n'était que balivernes et informations déformées et amplifiées, le genre de sottises que se racontent deux ivrognes avant de s'endormir sur leur chope.
Un des joueurs posa une carte en lançant un cri victorieux, ce qui fit faire la moue aux autres. Ils commencèrent à l'accuser de tricherie, et le ton monta entre les participants. Nera eut le temps de voir l'homme remettre discrètement quelques cartes dans sa poche. Alors qu'elle goûtait une seconde fois à sa boisson, le sourire aux lèvres à cause de la mauvaise foi humaine, elle ressentit une étrange vibration dans l'air. Son sourire s'agrandit encore pendant qu'elle posait calmement sa chope sur la table. Elle rajusta légèrement son pourpoint de cuir noir et s'assit correctement. Le talisman qu'elle portait autour du cou chauffait contre sa peau, en dessous de son habit, ce qui ne présageait rien de bon. Mais l'action lui manquait.
Un homme ouvrit soudain la porte et pénétra dans la taverne, suivi par deux autres. Les trois gardes s'adressèrent au patron, qui dit quelques mots avant de désigner Nera d'un geste du menton. Il y avait trop de bruits pour que la jeune femme ait pu entendre ses paroles et elle ne put lire sur ses lèvres, mais l'intention des gardes paraissait claire.
La jeune femme remonta lentement sa capuche afin de cacher son visage et seleva. Elle avait parcouru quelques mètres vers la sortie quand une voix nasillarde se fit entendre :
- Eh, vous ! Arrêtez-vous !
Pressentant que l'homme allait sortir son épée, Nera fit volte-face et se tint devant les trois gardes. L'un d'eux avança vers elle. Ils étaient tous vêtus d'une légère armure de cuir brune et jaune, sous laquelle dépassait par moment une cote de maille. La jeune femme jugea d'un regard leurs épées ; elles ne semblaient pas de très bonne facture et elles avaient l'air lourdes à manier. L'homme devant elle était plutôt large mais petit, sa démarche n'avait rien de souple ni de dangereux. Ses mouvements étaient relativement gauches, même s'il avait l'air sûr de lui. Les deux autres gardes, plus jeunes, semblaient crouler sous le poids de l'armure, et Nera crût les voir trembler.
- C'est elle, c'est la fille, dit le plus vieux aux autres. Bon, écoute, tu vas nous suivre sans faire d'histoire. Sinon...
- Sinon quoi ? Le coupa Nera avec une voix très calme.
Elle avait décidé de tester les nerfs de son adversaire. Ensuite, elle déciderait comment s'échapper. Le regard de l'homme se durcit et il porta la main à son épée en signe d'avertissement.
- J'ai pour ordre de t'arrêter. Et si tu ne coopères pas, je n'emploierais pas la manière pacifique. Alors maintenant tu vas nous suivre gentiment et sans dire un mot, je n'aime pas beaucoup les insolentes dans ton genre.
- Oh, lâcha Nera. J'aimerai bien savoir pourquoi vous voulez arrêter une jeune fille innocente, qui passait juste du bon temps à la taverne.
Les deux gardes laissèrent échapper un rire, et l'homme, sûrement leur supérieur, leur lança un regard glacial qui les fit taire sur-le-champ. Il reporta ensuite son attention sur Nera.
- Tu veux savoir ce que je leur fais, aux petites traînées comme toi ? Il vaut mieux que tu ne saches pas. Je perds patience, suis-nous.
Nera haussa les sourcils en entendant l'insulte à peine voilée. Alors qu'il s'apprêtait à attraper le coude de la jeune femme, elle esquiva song este comme s'il était d'une lenteur extrême. Le garde serra les dents et empoigna le manche de son épée.
- Ça suffit ! Siffla-t-il.
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Nera Daelhan - Lame d'Acier
Viễn tưởngDans un monde où les tensions entre royaumes grandissent chaque jour, la guilde des Rôdeurs doit renaître de ses cendres. Nera Daelhan, rejetée par les siens à cause de ses différences, rencontre un maître Rôdeur qui la guidera sur la voie. La paix...