La République
Platon
Chapitre 1
Non, par Zeus, répondit-il ; je ne sais pas ce que je
disais ; cependant il me semble encore que la justice
consiste à rendre service à ses amis et à nuire à ses
ennemis.
(334 c) Mais qui traites-tu d'amis (15) ceux qui
paraissent honnêtes à chacun ou ceux qui le sont,
même s'ils ne le paraissent pas, et ainsi pour les ennemis
?
Il est naturel, dit-il, d'aimer ceux que l'on croit
honnêtes et de haïr ceux que l'on croit méchants.
Mais les hommes ne se trompent-ils pas à ce sujet,
de sorte que beaucoup de gens leur semblent honnêtes
ne l'étant pas, et inversement ?
Ils se trompent.
Pour ceux-là donc, les bons sont des ennemis et les
méchants des amis ?
Sans doute.
Et néanmoins ils estiment juste de rendre service
aux méchants et de nuire aux bons ? (334 d)
Il le semble.
Cependant les bons sont justes et incapables de
commettre l'injustice ?
C'est vrai.
Selon ton raisonnement il est donc juste de faire du
mal à ceux qui ne commettent point l'injustice.
Nullement, dit-il, Socrate, car le raisonnement
semble mauvais.
Alors, repris-je, aux méchants il est juste de nuire,
et aux bons de rendre service ?
Cette conclusion me paraît plus belle que la précédente.
Pour beaucoup de gens, donc, Polémarque, qui se
sont trompés sur les hommes, la justice consistera à
nuire aux amis - car ils ont pour amis des méchants -
(334 e) et rendre service aux ennemis - qui sont bons
en effet. Et ainsi nous affirmerons le contraire de ce
que nous faisions dire à Simonide.
Assurément, dit-il, cela se présente ainsi.Mais corrigeons
; nous risquons en effet de n'avoir pas exactement
défini l'ami et l'ennemi.
Comment les avons-nous définis, Polémarque ?
Celui qui paraît honnête, celui-là est un ami.
Et maintenant, repris-je, comment corrigeonsnous
?
Celui qui paraît, répondit-il, et qui est honnête est
un ami (335) ; celui qui paraîtmais n'est pas honnête,