chapitre un ~ gaspard
- Quelle réponse entre « Ok » et « Va te faire enculer » correspond le mieux au message de ton père ?
Les chiens ne font pas des chats.
En entendant ma mère râler, je sais que mes gênes atypiques et débraillés ne viennent pas de n'importe où. Comparée à mon paternel, qui est le calme incarné, elle est terriblement loufoque et enflammée. D'ailleurs, quand elle a appris que mon père la quittait pour une quarantenaire pimpante, elle lui a jeté un verre de punch à la figure en le traitant de, je cite : « saleté de cliché sur pattes de merde ».
Enflammée, je vous dis.
Depuis, elle ne cesse de voguer entre des passades euphoriques et des périodes de profonde déprime. Heureusement, ces derniers temps, elle est plutôt agréable. Du moins, autant que peut l'être une femme aussi piquante qu'elle.
- Le « Ok » est le pire des affronts, je lance avec détachement.
Elle affiche un sourire satisfait en tapotant maladroitement sur l'écran de son téléphone. Cela fait à peine un an qu'elle l'utilise et elle est toujours aussi brêle lorsqu'il s'agit des nouvelles technologies.
Lorsqu'elle daigne enfin poser son smartphone, je fais glisser une enveloppe vers elle. Intriguée et pas patiente pour un sou, elle l'ouvre d'un geste expert, ce qui doit lui rappeler sa carrière de secrétaire de mairie. En apercevant le contenu, elle porte sa main à sa bouche, mais laisse tout de même échapper un cri de surprise. Le café dans lequel nous nous trouvons est bondé, mais ma mère ne passe pas inaperçu. Tous les regards se tournent vers elle. Comme toujours.
- Tu as gagné au loto ? s'exclame-t-elle.
C'est tout le contraire, en fait.
Comment pourrais-je lui avouer droit dans les yeux que je me suis fait virer et que je vais pointer à Pôle Emploi d'ici le mois prochain ? Ma mère est tellement déconnectée en ce moment, qu'elle n'a sans doute même pas entendu parler des licenciements économiques qui plombent l'entreprise dans laquelle je bosse depuis mon plus jeune âge.
Enfin... Bossais.
Je n'étais qu'un chef de ligne dans cette usine de pièces détachées, mais la paie qui tombait chaque mois m'assurait un confort de vie. Aujourd'hui, je peux dire que je ne sais pas de quoi demain sera fait. Ça me fait plus ou moins peur pour être tout à fait honnête. Ce que j'appréhende le plus, c'est la réaction de ma mère. Elle me voyait finir haut-placé dans cette entreprise d'ici quelques années.
- C'est fou, mon lapin, ajoute-t-elle en tripotant le billet entre ses doigts.
Est-ce que j'ai l'air d'un putain de lapin, maman ?
- C'est ton cadeau d'anniversaire avec un peu d'avance.
Ma mère continue de caresser le papier, perdue dans ses pensées. Jamais je ne pourrais lui avouer que, pour lui payer une croisière en Méditerranée, j'ai claqué toute ma prime de licenciement. Elle me maudirait et me renierait jusqu'à la fin de sa vie.
Et comme elle m'a toujours dit que sa grand-mère était à moitié sorcière-guérisseuse, je me méfies.
Elle reste longuement silencieuse, comme si quelque chose la travaillait. Vu le regard triste qu'elle porte sur le billet, je crois qu'elle est en train de rebasculer dans une période de dépression.
- Je ne peux pas, grommelle-t-elle.
Je n'en crois pas mes oreilles. Je dépense une blinde pour lui faire LE cadeau dont rêve toutes les soixantenaires et elle, elle me balance qu'elle ne peut pas ? Mes traits se crispent instantanément. Je la sais assez impulsive pour déchirer le billet en me disant qu'elle aspire à autre chose qu'à se prélasser sur un transat sur un paquebot de luxe.
VOUS LISEZ
La mer à boire (sous contrat d'édition ❤️)
RomancePour caser sa mère, Gaspard est prêt à tout. Même à claquer son indemnité de licenciement économique et lui offrir une croisière en Méditerranée à bord du « Romantica ». Rosa, toute jeune soixantenaire, drôle et attachante, mais totalement déprimée...