- 5:00
Michel, comme chaque matin, arrive sur son vélo au dépôt SNCB de Stockem où l'attend, comme chaque matin, son outil de travail. Michel est mécanicien sur une superbe Pacific Type 1, une locomotive à vapeur de 124 tonnes construite en 1935 à Tubize. Il avait appris à conduire sur cette même machine et en était devenu titulaire. C'est SA locomotive, il la chérit chaque jour passé avec elle, il la connait dans ses moindres détails, il connait son caractère de "coureuse" et sa tendance à l'énervement au démarrage. Il est le seul à savoir la conduire, personne d'autre ne peut la comprendre mieux que lui.
- 6:00
Le temps de remplir les papiers administratifs journaliers et de porter attention au rapport de ligne, c'est autour d'Adrien, le chauffeur de la belle, d'arriver au dépôt. C'est Adrien, qui chaque jour use son dos pour nourrir, à coups de pelles pleines de charbon, l'énorme engin tout fait d'acier. Les deux hommes se saluent. Un profond respect, mais surtout une confiance absolue règne entre eux. C'est leur travail complémentaire qui permet à la locomotive de fonctionner au meilleur rendement.
- 7:30
L'entretien, le graissage et la vérification des pièces maîtresses de la machine est effectué, tout est en ordre. Un peu d'usure est décelée par Michel sur la pompe hydraulique mais cette dernière fonctionne encore parfaitement. Adrien fait monter la pression de la machine à 12 bars, pression suffisante pour déplacer la machine seule à allure réduite dans les voies de triage.
- 7:37
Comme chaque matin, Adrien et Michel attendent le convoi qu'ils vont tirer jusque Bruxelles. Soudain un sifflement aigu retenti. Une type 53 dépasse le dépôt, attelée au train destiné à la 1.002.
- 8:00
La 55 s'est dégagée et Michel attèle minutieusement la Type 1 au convoi afin d'aller chercher les premiers navetteurs à Arlon. Une fois attelée, Michel vérifie les freins du train tandis qu'Adrien fait grimper la pression à 16 bars, suffisant pour tirer les 600 tonnes que pèse le train vide tout en étant économe avec le charbon.
- 8:17
C'est l'heure d'y aller, les feux passent au vert, l'équipe dispose de 10 minutes sur un tronçon limité à 70 km/h pour aller rejoindre Arlon. Tout se joue sur l'accélération. Mais Michel connait bien la machine et le feu bien nourri d'Adrien fourni toute la puissance nécessaire pour arracher le convoi et l'amener rapidement à sa vitesse de croisière.
- 8:27
Départ à 8:35, Michel ne traine pas de placer la locomotive en tête de train tandis que les passagers montent à bord.
- 8:35
Tout est en ordre, le chef de gare donne le signal de départ, et dans une facilité déconcertante, l'imposante machine met son train de plus de 600 tonnes en branle, dégageant de grands panaches de fumées au niveau de ses quatres cylindres. Le manomètre affiche 18 bars, la limite de pression supportée par la Pacific déjà âgée de 22 ans.
- 10:05
La gare de Namur sera atteinte d'ici à dix minutes, l'horaire est respecté. Le train file à 140km/h à travers la campagne namuroise. Le foyer ronfle, une chaleur infernale y règne. Les deux compagnons ont le ventre presque brûlé alors que leurs dos sont soumis à la température glaciale de l'extérieur et du vent qui s'engouffre dans la cabine pourtant déjà mieux fermée que les premières locomotives.
Tout en restant attentif à son feu, Adrien guette le signal annonçant la rampe de Beez, une montée à dix pour mille s'étendant sur plus de deux kilomètres. La locomotive passe le panneau à toute allure, Adrien crie "GO!" pour avertir Michel. Adrien ouvre en grand les portes du foyer et commence à enfourner le charbon dans un rythme en trois mouvements. Michel quant à lui ouvre le régulateur et augmente l'admission de la machine, envoyant le double de vapeur dans les cylindres. L'engin entame sa montée, utilisant plus de 75% des 2.500 cv qu'elle peut développer. Le bruit de l'échappement s'intensifie. La machine est secouée par d'importantes vibrations, la Pacific grogne, ses pièces chauffent et il est temps d'arriver à Namur. Si Adrien garde son rythme, il aura enfourné plus de 200 kilos de charbon dans le foyer en haut de la pente. Un bruit sourd retentit dans la cabine, les soupapes de sûreté viennent de sauter, libérant un important jet de vapeur, afin de réguler la pression présente dans la chaudière. Adrien ralentit la cadence, surveillant de près le manomètre, la vitesse et la quantité d'eau présente dans la chaudière. S'il y a trop d'eau, la locomotive se noie, s'il n'y en a pas assez le fer de la chaudière se déforme sous l'effroyable chaleur dégagée par le foyer. Le train arrive enfin en haut de la colline dominant la ville. Michel coupe le régulateur et laisse le train garder sa vitesse avec son inertie. Adrien rectifie deux trois "trous" dans le charbon du foyer pour assurer une chauffe maximale. Ils croisent une vénérable type 10, la plus puissante locomotive à vapeur connue à la SNCB. Sa fin malheureusement est proche, le modèle datant de 1910 connait une certaine usure et petit à petit, les locomotives diesel, tout aussi puissantes et plus économiques font leur apparition.
La machine, fatiguée, arrive enfin en gare de Namur. Pas une minute de retard. les deux compères ont maintenant rapidement le temps de faire le tour de la locomotive et de graisser les larges bielles de la 1.002.
- 11:35
Arrivée à la gare du midi pile à l'heure. Michel et Adrien détache l'engin du train et se dirigent paisiblement vers le dépôt de Schaerbeek . Par mesure de sécurité, la machine doit reposer sa mécanique robuste pendant 6h afin d'éviter toute surchauffe liée à une utilisation trop dense. L'équipe reprendra la route pour Arlon vers 17h après avoir tourné la locomotive sur la rotonde du dépôt.
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La 1.002 de Michel
Short StoryL'histoire imaginée du mécanicien imaginaire de cette superbe machine à vapeur belge.