Je secoue la tête. Il me fixe toujours. Un épais voile de tristesse s'abat sur moi. Je pose deux mains sur son torse et prend du recul. Je m'appuie contre le bord de scène.

Le feu est éteint. L'eau arrête de couler. Ma perruque est trempée tout comme mes vêtements. Je m'applaudis de porter des couleurs sombres qui l'empêchent de me voir presque nue, bien que mes formes soient clairement visibles. Atteinte d'un soudain sentiment de pudeur, je couvre mon ventre de mes bras. Je n'aime pas qu'on me regarde. Je n'aime pas qu'on me voit.

Assez paradoxale hein ? Je ne veux pas qu'on me voit et je joue les starlettes par ailleurs... Bienvenue dans ma tête !

Je n'aime pas du tout mon corps, et encore moins mes rondeurs. J'en ai honte. Je ne suis pas le genre de fille maigrichonne sur qui les mecs posent leurs regards. D'ailleurs, quand on veut m'attaquer, moi Karol, la première chose qu'on me lance à la figure, c'est mon poids. Pour Rock, mon alter ego, c'est pareil, mais c'est affiché dans les plus grands tabloïds. Dans le passé (bon ok et encore maintenant), j'en ai souvent pleuré pendant des heures dans mon lit, avec du chocolat et de la glace. Tout en pleurant, c'était ma façon à moi de leur faire un doigt et de leur dire d'aller se faire voir. Pourquoi cherche-on toujours à détruire tout le monde ? « ROCK LE TALENT PROPORTIONNEL A SA TAILLE DE SOUTIF » ; « SCANDAL : ROCK NE PORTE PAS DU 34 » « LA STAR QUI VA RELANCER LES MAGASINS GRANDE TAILLE ». Et je ne cite pas les pépites que j'ai pu lire...

Moi, Karol, les garçons ne me voient pas ou alors je suis la bonne pote, qui écoute et est utile pour deux, trois trucs de temps en temps. En tant que Rock, je m'affirme (à peu près) comme je suis. Mon styliste se débrouille pour me dessiner des vêtements qui me vont plutôt bien. Ma perruque me donne de l'allure, et soyons sincères : le maquillage peut vraiment faire des merveilles.

Je reçois de nombreuses cartes de fans qui disent qu'ils m'admirent, qu'ils m'aiment, que je suis un exemple dans la vie et que beaucoup ont compris que ton tour de taille ne définit pas la personne que je suis. Je n'ai aucun mal à faire passer aux autres ce message, mais alors me le faire comprendre à moi-même est une tâche plus ardue.

A cet instant, en face de cet inconnu, qui ne me lâche pas du regard, je n'ai qu'une envie : m'enfuir à toute allure. Problème ? Je n'ai qu'un pied valide sur deux. Je réfléchis pour trouver un moyen de le congédier et ainsi cesser de me sentir aussi intimidée.

-Merci de ton aide. Tu devrais rejoindre ta sœur. Je vais me débrouiller.

J'étais persuadée qu'il allait tourner les talons, me regarder deux, trois fois avant de sortir et ne plus prononcer de mots. Qu'est-ce que je suis innocente...

-Non, je ne pense pas.

Je le fixe surprise.

Il me sourit ironiquement. Piquée dans mon ego, je fronce les sourcils.

-Bien sûr que si ! Je n'ai pas besoin de ton aide ! Je suis une grande fille.

Et prise dans mon élan imaginaire de sûreté, mais surtout guidée par mon orgueil, je m'éloigne du bord de scène et marche vers la sortie. Sauf, que je fais trois pas avant que ma cheville, qui me fait encore plus souffrir à chaque avancée, ne me lâche.

Cet instant semble durer une éternité. Je vois soudainement le sol se rapprocher de mon visage. Et avant même, que je n'ai réalisé. Je suis face contre terre dans une flaque. Ma fierté en prend un coup, et part se cacher quand Il éclate de rire. Je m'assois en tailleur et le fixe. Fort heureusement, ma perruque est solidement accrochée.

Il rit un bon moment. Il finit par venir s'asseoir dans l'eau avec moi. Les lumières de sécurité nous éclairent. Il laisse un peu de distance entre nous. Vexée par son rire, je détourne la tête, comme une enfant. Son rire redouble avant de se calmer. Doucement, il pousse mon bras. Je le regarde. Il a un grand sourire. Il me tend la main.

-Ruggero. Enchanté.

Je le toise du regard.

-Ne sois pas méchante, ne me laisse pas en plan. Ce vent serait beaucoup trop violent.

Je m'empêche de rire, mais ne peut effacer mon sourire. Je le fais encore un peu patienter et finis par prendre sa main. Une décharge électrique me traverse de nouveau. Je regarde nos mains. J'ai l'impression qu'il l'a aussi ressenti.

Il est étrangement proche. Je relève le regard et me perds dans ses beaux yeux noisettes.


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