Chapitre Vingt-Huitième

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Nicolas venait de regagner sa chambre après son bain quotidien. Les efforts qu'il avait faits plus tôt dans la journée l'avaient laissé épuisé, pourtant il n'arrivait pas à dormir. Il ne pourrait pas trouver le sommeil tant qu'il n'aurait pas de nouvelles de Vincent et d'Adrian Jacinto. Il avait essayé de se distraire en lisant un livre, mais ses yeux étaient à chaque fois attirés par le téléphone qui se trouvait à sa gauche. Il était persuadé qu'un appel de l'inspecteur ne devrait pas tarder et, tel un enfant, il fixait le combiné en espérant déclencher miraculeusement cet appel. Aussi quand ce dernier sonna finalement il ne put empêcher un sursaut, ce qui ne manqua pas de déclencher une violente vague de douleur dans tout son corps.

Il tendit lentement le bras vers l'appareil, chaque centimètre parcouru le faisant plus souffrir que le précédent. L'homme parvint enfin à atteindre l'appareil et à le décrocher. Il entendit un « allo » au bout du fil auquel il ne put pas répondre, mais qui le motiva à accélérer le mouvement.

« Allo Nicolas ? Est-ce que tu m'entends ? demanda pour la troisième fois Richards.

— Oui... désolé. J'ai eu du mal à attraper le combiné. Ça s'est bien passé ?

— Je... »

Un silence pesant suivit cette déclaration avant qu'un reniflement se fasse de nouveau entendre. La panique s'empara de Nicolas, il comprit que son ami pleurait. L'homme se sentit alors affreusement impuissant. D'ici il ne pouvait rien faire, il aurait pu rassurer Vincent s'il avait été avec lui, il aurait pu lire en lui ce qu'il voulait entendre, ce qu'il avait besoin d'entendre. Mais là il était livré à son seul instinct et il n'avait qu'une confiance très limitée en lui-même.

« Vincent ? Vincent est-ce que ça va ? »

Aussitôt après avoir posé la question il se rendit compte de l'absurdité de celle-ci. Si tout allait bien est-ce que l'homme serait vraiment en train de pleurer au bout du fil ? Non. Même avec la connaissance très limitée qu'il avait des réactions humaines il savait cela.

« Je suis désolé, s'empressa-t-il d'ajouter. J'imagine que ça ne va pas... Est-ce que tu vas revenir sur Paris ce soir ? Tu peux passer me voir ?

— Non... on dort à l'hôtel ce soir. Et peut-être demain aussi. Je ne sais pas combien de temps on va rester ici... il y a eu un imprévu.

— Adrian s'est échappé ?

— Non... je... »

Le capitaine fut coupé par une crise de larmes qui brisa le cœur de Nicolas. Il aurait tout donné pour pouvoir rejoindre son ami. Il avait tant fait lorsqu'il était au plus mal et il ne pouvait pas lui rendre la pareille, c'était rageant. Pourtant il ne se sentait pas en colère. Il se sentait juste affreusement désolé et inutile.

« Il a fait une autre victime avant d'être arrêté. »

La voix du policier relevait plus du murmure que d'autre chose. Lecompte ne put retenir un frisson. Comment Adrian avait-il pu faire encore une victime ? Ça n'avait pas de sens. Il sentit soudainement le désespoir de Vincent. Lui qui avait tout fait pour arrêter le massacre et qui pensait enfin avoir mis fin aux agissements de l'homme se retrouvait en réalité en face d'un autre de ses crimes.

« Tu ne pouvais pas le savoir, tenta Nicolas. Tu ne pouvais pas agir avant...

— Si... Je pouvais. Il l'a tué aujourd'hui. Quand je l'ai arrêté, le gamin était encore vivant, en train d'agoniser. »

Nicolas n'avait aucune idée de ce qu'il devait faire ou dire. Peut-être que s'il avait une plus grande expérience de l'humanité il se serait échiné à prouver à Vincent que ce n'était pas sa faute. Mais ce n'était pas le cas.

« Il les empoisonne avec une plante rare, continua l'inspecteur. C'est pour ça que nous ne l'avions pas détecté jusqu'à présent. C'est un poison très toxique... et par très j'entends que même en petite quantité elle est mortelle... et tu sais ce qu'il faisait ? Ce que ce connard faisait ?

— ...

— Il jouait avec eux.

— Comment ça ? »

Au moment même où l'amnésique avait posé la question, il l'avait regretté. Il allait dire que cela importait peu. Sa curiosité était très mal placée, il s'en était rendu compte. Mais Vincent reprit la parole avant qu'il en ait le temps.

« Il les nourrissait avec, les rendait malades peu à peu. Ils mourraient s'ils ne mangeaient pas, ils mourraient s'ils mangeaient. Il les a regardés mourir peu à peu, son plaisir ce n'était pas seulement d'être connu. On s'est trompé sur lui depuis le début. Il s'était caché derrière cette façade... en réalité c'était ses fantasmes qu'ils mettaient en scène.

— Qu'est ce que tu veux dire ?

— Il aime tuer les enfants. Il prend son pied à le faire... il prend tellement son pied qu'il veut partager son plaisir avec le monde entier. Comme un philatéliste te ferait voir sa collection de timbres parce qu'il en est fier... »

L'homme arrêta de parler et un nouveau reniflement se fit entendre. Nicolas garda cette fois le silence. Il n'était pas sûr de saisir totalement ce qui avait mis son ami dans cet état, mais il avait une vague idée de la monstruosité de l'homme qu'il avait poursuivi. Forcément, il était impossible au policier de rester de marbre dans ces conditions.

« Vincent ? osa finalement Lecompte.

— Oui... ça va. Ne t'en fais pas. C'est juste un mauvais moment à passer. Je vais devoir raccrocher. Il faut que je dorme. Je reviendrais demain soir en fin d'après-midi, j'espère que ce sera toujours l'heure des visites... Bonne nuit.

— Je... Bonne nuit. »

Nicolas entendit bientôt le bip répétitif qui signalait la fin de l'appel. Il reposa le combiné avec une grimace, autant de douleur physique que morale. Il n'aimait pas l'idée de Vincent seul dans une chambre d'hôtel miteuse au comble du désespoir se reprochant sa lenteur... Et pourtant il ne pouvait rien faire. S'il avait au moins été en état de marcher peut-être aurait-il pu trouver un moyen de le rejoindre. Mais dans la conjoncture des choses, il était bloqué au fond de son lit avec la désagréable impression d'être profondément inutile. Ce sentiment dont il essayait désespérément de se débarrasser depuis des mois lui revenait une fois de plus en pleine face.

Sans vraiment comprendre pourquoi il sentit une larme couler sur sa joue. Quelques minutes plus tard, ses pleurs s'accentuèrent pour se transformer en sanglots. À ce moment et sans s'en rendre compte, le policier et l'amnésique étaient dans des positions très similaires tout en se trouvant à des dizaines de kilomètres de distances.

Le lendemain fut une journée affreusement longue que ce soit pour Richards ou Lecompte. Ce dernier avait pourtant reçu une visite d'Atsuko, elles le mettaient toujours en joie, mais ce n'était pas elle qu'il attendait. La femme l'avait d'ailleurs bien compris et sa curiosité pour l'homme qui parvenait à rendre Nicolas si heureux n'en fut qu'accentuée. 

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