VII. Une mer scintillante.

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Il était aussi apeuré, et de savoir cela fit chavirer son cœur un peu plus. Ce fut à son tour de saisir sa main, sans la moindre peur. Luna respira lentement. Cette fois, elle voulait être certaine qu'elle mémorisait tout, qu'elle s'imprégnait de la moindre partie de Maxime. Certaine de ne pas oublier une soirée qui naviguait sur tant de promesses.

Le satellite lunaire brillait bien haut dans le ciel, et les dernières traces du jour avaient entièrement été emportées par la mélancolie de la nuit. Luna avait un penchant pour l'obscurité depuis qu'elle avait lu le Petit Prince.

"On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux".

C'était cela, le pouvoir magique de la nuit, sur Luna ; une reconnexion avec ses propres sens, loin des tours joués par ses prunelles et des images qu'elles captaient. Pour aimer, pour vivre, Luna n'avait jamais eu besoin de voir. Elle ressentait le moindre souffle de Maxime qui se perdait dans la brise d'été, le déplacement infinitésimal de ses doigts sur sa peau de nacre, la moindre respiration un peu trop précipité ; jusqu'au moindre battement de cil de l'homme qui avait son torse collé contre son dos.

Son doigt parcouru lentement l'échine de Luna, comme s'il cherchait à imprimer toutes les parcelles de sa peau, pour mieux les retranscrire dans une autre lettre.

- J'ai peur depuis longtemps lorsque je suis avec toi, Luna.

- C'est moi qui devrais avoir peur, souligna-t-elle en laissant échapper un rire nerveux. Tu te souviens de notre première rencontre ?

- Tu étais si jolie dans ce jogging vingt fois trop large pour toi, se souvint-il.

- Ne dis pas de sottises. J'étais rouge comme une pivoine.

Le silence qu'il lui répondit appuya ce qu'elle venait de dire. Au fond d'elle, Luna sourit. C'était bien plus simple d'être avec Maxime qu'elle ne le croyait.

Pas aussi instinctif qu'avec Clément, avec lequel elle n'avait jamais eu aucune retenue. Mais cela, c'était parce qu'elle était tombée sous son charme des mois après l'avoir rencontré. Avec Maxime, l'effet avait été immédiat.

Le coup de foudre. Sans doute la raison pour laquelle elle songeait depuis toujours que Maxime était celui qu'elle attendait.

C'était comme cela dans tous les romans d'amour, après tout, non ? Il suffisait d'un regard. D'une illusion.

Il n'y avait qu'avec Maxime qu'elle avait connu ce frisson-là, cet emballement irréfléchi ; avec Clément, ce qu'ils avaient construit avait été travaillé de telle sorte que les choses marchent entre. Un amour fait de concessions, et c'était une idée étrange, pour Luna, de penser qu'un amour sans concession pouvait exister.

Est-ce qu'un tel amour ne se façonne jamais avec le temps ? Luna n'en était plus si sûre. Tout miser sur du hasard, n'était-ce pas plutôt de la lâcheté ?

- Pourquoi ne m'as-tu jamais envoyé ces lettres ?

- Je ne sais pas. Probablement que je ne m'en sentais pas la force.

Luna ne dit rien mais une étrange sensation se répandit dans son estomac, et ce n'était pas une chaleur bienfaisante comme auparavant. C'était plus insidieux, plus dérangeant. Il n'avait pas osé, et Luna ne pouvait s'empêcher de songer que Clément, lui, n'aurait pas hésité une seule seconde. Il avait été entreprenant avec Luna dès le début, en l'invitant à prendre un verre, ou à l'accompagner à un concert. Lui qui avait horreur des livres avait même été jusqu'à faire toutes les boutiques d'antiquités de la région pour dénicher l'ancienne édition des Fleurs du Mal de Baudelaire, sachant parfaitement combien la jeune bibliothécaire aimait ce recueil de poèmes.

Et cela, bien avant qu'elle ne succombe au désir grandissant, inexorable, de l'embrasser et de passer les nuits dans ses bras. Des nuits intenses qui resteraient à jamais gravées dans sa mémoire.

Luna voulait chasser ce sentiment, mais son esprit y revenait sans cesse. Maxime n'avait pas été capable d'envoyer la moindre de ces lettres. Après tout, pouvait-elle lui en vouloir ? Elle-même ne lui avait jamais avoué ses sentiments après toutes ses tentatives pour le séduire.

Maxime eut un petit rire, et déposa un léger baiser dans ses cheveux.

- Je savais que tu étais amoureuse de moi, murmura-t-il dans un souffle au creux de son oreille.

A ces mots, Luna sursauta, et tourna vers lui. Les yeux bleus-gris de Maxime la couvaient d'un œil tendre, tandis que le cœur de la jeune femme s'emballait sous l'étonnement et que ses sens étaient en alerte.

- Co... comment ça ? demanda-t-elle en déglutissant, incapable d'articuler plus de deux mots.

Maxime rit, mais s'il avait vu la mine effarée de Luna, à moitié cachée par les mèches de ses cheveux blonds qui n'étaient pas attachés, et la pénombre de la nuit, le jeune homme aurait certainement conservé son sérieux.

- C'était assez évident, Luna. Les regards que tu me lançais... ta façon adorable de rougir dès que je m'approchais de toi... Tu baissais les yeux, tu fuyais mon regard dès que je te parlais. Tu étais différente avec moi. C'était charmant, même un peu excitant, de savoir que je te faisais cet effet-là.

Une pierre tomba dans l'estomac de Luna, et elle passa lentement une main sur son visage, pour se donner le temps de se ressaisir. De maîtriser sa voix, de conserver un air calme et détaché alors que tout son être était en émoi, assailli par la honte et la déception.

- Depuis combien de temps le sais-tu ? fit-elle doucement.

- Depuis le premier cours de français, en seconde. Tu te souviens ?

Evidemment qu'elle se souvenait. Tous les moments passés à l'observer étaient ancrés au plus profond de son âme, une partie d'elle-même et de ses illusions d'adolescente amarrée au reste de son âme à la dérive. Une pointe d'amertume venait tout juste de les assaisonner, ces souvenirs.

Il avait toujours su, et n'avait rien dit.

- C'était une semaine après la rentrée. Je t'ai repérée devant la salle, et tu étais seule, plongée dans un bouquin. Je ne sais plus lequel...

"Je suis prêt à parier que tu lisais La Promesse de l'Aube, riait doucement Clément alors qu'elle lui racontait la même anecdote, deux ans auparavant. C'est ton livre préféré.

- Tu ne serais pas devin ? le taquinait-elle.

- Il trône en roi au milieu de tes étagères, ma puce. Impossible de le manquer. Tu en parles constamment ! C'est la première chose que j'ai su de toi."

- ... mais je t'ai approché pour te saluer, et tu as sursauté. Ton livre est tombé de tes mains, et toi, tu es devenue encore plus pâle que tu ne l'étais déjà. Tu bégayais tellement que tu as pris la fuite pour te réfugier au fond de la salle de classe, loin de moi. C'est là que j'ai commencé à avoir un doute, confia Maxime en saisissant de nouveau sa main.

Luna se laissa faire, mais son cœur était engourdi. Anesthésié. Presque vacciné par cet aveu.

- Pourquoi tu n'as rien dit ?

- Je pense que tout cela me dépassait un peu. Et puis, toi et moi, on ne se connaissait pas vraiment, alors... Aujourd'hui je me rends compte que c'était une erreur.

"Mais aujourd'hui, que sais-tu de moi, Maxime ?"

Une Dernière Nuit.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant