CHAPITRE 3

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Gorghoz fut tiré de son sommeil par deux gardes sombrelfes venus le ramener dans sa cellule. Ils détachèrent les fers qui le retenaient à l'autel avant de le redresser pour le remettre sur ses pieds. Il effectua en sens inverse le trajet à travers escaliers et corridors obscurs qu'il avait emprunté la veille. Le jour commençait à poindre par-delà les montagnes. L'heure avançait et l'orc sentait que le moment était proche, où il sortirait de sa prison de ténèbres.

Ils arrivèrent finalement dans les cachots. Les chasseurs se regroupèrent contre les barreaux de leur cellule et fixèrent Gorghoz, cherchant un signal ou un regard d'approbation de sa part. Ce dernier garda la tête baissée, fixant ses poignets enchaînés. Il entra dans la cellule, toujours encadré par les deux gardes. Les chasseurs se tinrent prêts, adossés aux parois de la cellule.

Les fers furent retirés. Une seconde de silence. Puis Gorghoz lança l'offensive. Simultanément, il écrasa d'un coup de coude le nez des sombrelfes et fit volte-face. Il arracha leurs épées de leurs fourreaux et en enfonça la pointe dans leur gorge. Se retournant, il lança l'une des deux armes au chef des chasseurs.

- Allons-y ! Dépêchons-nous !

Ils évoluèrent furtivement à travers les dédales de la forteresse noire, faisant preuve d'une grande discrétion pour ne pas être repérés par les sombrelfes. Finalement, ils arrivèrent dans la cour principale. Ils s'arrêtèrent un instant afin de faire l'inventaire des menaces à surveiller autour d'eux. Des gardes sur les remparts, à la porte et dans la cour, faisant leur ronde. Gorghoz et les chasseurs comprirent que nulle fuite n'était possible sans attaquer frontalement les sombrelfes.

Le chef des chasseurs attaqua le premier. Sortant des ombres et pénétrant dans la cour, épée à la main, il trancha la tête d'un garde avant qu'il ne le repère. Gorghoz en attaqua un second par l'autre côté. Les autres chasseurs les suivirent, récupérant les armes sur les corps inertes des sombrelfes. Et au fur-et-à-mesure que les corps s'effondraient, les chasseurs s'armaient. L'alarme venait d'être donnée. Trois chasseurs montèrent sur les remparts pour entreprendre d'éliminer les gardes.

Le reste du groupe commença d'ouvrir les lourdes portes d'ébène qui les séparaient encore de leur liberté. Des dizaines de sombrelfes accouraient dans la cour, prêts à massacrer les fugitifs. La porte était presque ouverte, mais pas encore suffisamment pour les laisser passer. La mêlée s'engagea. Les têtes et les bras furent sectionnés, valsèrent dans toutes les directions, sublimés par le flot du sang bouillonnant, jaillissant des plaies béantes des combattants. Gorghoz et l'un des chasseurs parvinrent finalement à ouvrir la porrte. Ils coururent, droit devant eux tout d'abord, puis bifurquèrent, s'éloignant de la route de terre pour rejoindre l'ombre des arbres, espérant semer leurs poursuivants.

Après un certain temps, ils finirent par s'arrêter. Aucun sombrelfe ne semblait les avoir suivis jusqu'à l'endroit où ils étaient parvenus. Gorghoz regarda autour de lui. Ils n'étaient à présent plus que trois. Le chef des chasseurs, l'un de ses compagnons et Gorghoz. Ils étaient exténués. Le soleil était au zénith et ses rayons, à travers les branches des arbres immenses, étaient pareils à des fils d'or pénétrant la peau des fugitifs.

- Nous ne pouvons nous permettre de nous arrêter pour le moment. Il faut continuer d'avancer, annonça le chasseur.

- Oui, répondit Gorghoz. Nous devons continuer jusqu'à la tombée de la nuit.

- Restons tout-de-même sur nos gardes, commenta le chef des chasseurs. Il se peut que nous rencontrions d'autres menaces dans ces bois.

Ils marchèrent jusqu'à ce que le ciel fût totalement plongé dans les ombres. Ils amassèrent du bois sec et entreprirent d'allumer un feu. Une fois que les flammes dansèrent dans le cercle de pierres, les deux chasseurs s'assirent tandis que Gorghoz restait debout, les mains posées sur le pommeau de son épée, scrutant les ténèbres opaques qui régnaient parmi les arbres.

Le chasseur sortit de sa profonde poche un petit paquet en tissu, confectionné à l'aide d'un morceau de sa cape. Il était rempli de baies sauvages qu'il avait cueillies tout en marchant.

- Nous n'en ferons pas un festin, dit-il, mais cela nous permettra au moins de ne pas avoir le ventre totalement vide.

- Eh, l'orc ! Viens donc prendre ta part, avant que nous ne mangions tout, plaisanta le chef des chasseurs.

- Non, merci, répondit Gorghoz, toujours de dos. Je n'ai pas faim. Mangez à votre guise.

Les esclavagistes restèrent un moment silencieux, savourant lentement leurs baies sauvages. Puis, le chef éleva la voix, s'adressant toujours à Gorghoz.

- Je crois qu'il serait approprié de te remercier, l'orc. Bien que nos camarades soient morts durant notre évasion, c'est grâce à toi que nous sommes parvenus à ressortir de cette forteresse, et d'échapper à notre funeste destin.

- Nous ne te faisions pas confiance, ajouta l'autre, mais force est de constater que nous avions tort de douter de toi. Tu as tenu parole.

- Oui, c'est vrai. J'ai tenu parole.

La voix de Gorghoz était basse, comme s'il eût parlé pour lui-même. Puis, lorsqu'il remarqua que les chasseurs étaient retournés à leur baies, il se retourna vers eux, puis élança son bras armé vers le chasseur. La lame acérée atteignit la nuque de la victime, tranchant sa tête avec une précision remarquable. La tête de l'esclavagiste atterrit lourdement dans les braises incandescentes, prenant feu au contact des flammes.

À la vue de la tête de son camarade roulant au milieu des cendres brûlantes, et éclaboussé par un vif jet de sang, le chef des chasseurs poussa un grand cri de terreur et de surprise. Se relevant, il commença de dégainer sa propre épée. Mais avant qu'il n'en eût le temps, Gorghoz, d'un revers puissant et rapide comme la foudre, lui trancha le bras droit. L'homme tomba à la renverse, hurlant de douleur, tenant fermement son bras sectionné dans le but de limiter son hémorragie.

Gorghoz s'approcha, impassible, et posa son talon sur la gorge de sa victime. Puis, plongeant son regard dans le sien, déclara :

- Tu as beau avoir contribué à mon évasion, tu n'en restes pas moins un vil esclavagiste, qui a tenté de faire de moi une bête de somme. Toi et tes compagnons avez voulu me priver de ma précieuse liberté. Et lorsque tous riaient alors que je me débattais pour échapper aux crocs de vos chiens, tu riais avec eux. Pour tout cela, tu as mille fois mérité la mort que je vais t'infliger à présent.

Et après avoir achevé sa phrase, il écrasa impitoyablement la gorge de celui qu'il avait aidé à s'enfuir de la forteresse sombrelfe. Le chef des chasseurs se débattit frénétiquement, mais rien n'y fit. La force de l'orc, couplée à sa colère, était trop grande, et le saignement abondant, ainsi que sa suffocation, l'affaiblissait de plus en plus. Finalement, Gorghoz, las de la lenteur de cette mise à mort, enfonça la pointe de sa lame dans le front de son ennemi, qui rendit enfin son dernier soupir.

Gorghoz nettoya sa lame, la rengaina et prit avec lui le petit sac de baies, resté intact au sol. Tout en les mangeant, il reprit sa route, silencieux, laissant derrière lui les deux cadavres de ses anciens complices. La nuit passa sans qu'il ne ressentît le besoin de se reposer. Au petit matin, il sortit enfin de la sombre et épaisse forêt, accédant à l'immense pleine verdoyante des contrées du Sud-Est. Et bien qu'il fût un exilé, un paria, il savait en son cœur qu'il marchait libre, délesté de toute chaîne. Lui, Gorghoz, le déchu, éternel voyageur.

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Retrouvez bientôt la suite des aventures de Gorghoz, le déchu.

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GORGHOZ ~ Le déchuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant