CHAPITRE 2

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Le fracas des projectiles résonnait au milieu des hurlements, faisant éclater les murs et les barricades en d'innombrables éclats de pierre.

Une brèche avait été percée dans l'un des murs d'enceinte, donnant aux assaillants un accès à la forteresse. Pour l'heure, les défenseurs parvenaient encore, au prix d'efforts soutenus, à repousser l'ennemi. Au même moment, un autre groupe entreprenait de barricader la porte, au cas où celle-ci, bien que robuste, vînt à céder sous les assauts du bélier, tandis que, sur les remparts, les archers continuaient de percer leurs cibles de flèches meurtrières.

C'est à la brèche que se trouvait Gorghoz. Au milieu de la mêlée, son marteau tournoyant créait un terrifiant tourbillon de mort. Appuyé par ses compagnons d'armes, il parvint à avancer, petit à petit. Bien que leurs assaillants leur fussent supérieurs en nombre, les défenseurs, ligués en masse compacte et aidés par l'étroit couloir formé par les débris et les bords de la brèche, parvinrent, finalement, à les repousser hors des murs de la forteresse.

Au bout de quelques heures, les attaquants se replièrent vers leur camp, situé en contrebas de la colline. Le sol boueux et enneigé avait pris la couleur du sang. On eût dit la forteresse posée sur un tapis écarlate. Gorghoz se laissa tomber à même le sol, le dos appuyé sur un mur. Son épaule le lançait de nouveau. Bien qu'il n'eût pas ressenti de douleur particulière durant la bataille, sa blessure recommençait à le gêner. En y regardant de plus près, il constata que la plaie s'était rouverte. Il allait falloir la recoudre une nouvelle fois.

L'infirmerie, si l'on pouvait l'appeler ainsi, se trouvait plus avant dans l'enceinte de la forteresse. Afin de protéger au mieux les bléssés, elle avait été installée dans la haute cour, aux abords du donjon. L'espace de soins était saturé. Partout, sur les tables d'opérations, les caisses de matériel, et même sur le sol, s'entassaient les mourants et les estropiés. Par chance, Gorghoz parvint à trouver une caisse inoccupée et y prit place. L'un des apprentis chirurgiens apparut et entreprit d'examiner son épaule.

"Non. Pas toi, dit fermement Gorghoz, repoussant l'infirmier d'un revers du bras.
- Vous êtes bléssé, messire, il faut désinfecter et recoudre cette plaie...
- J'ai dit non. C'est toi qui m'a recousu la dernière fois, répondit l'orc, et les points de suture se sont arrachés à la première échauffourée. Je veux quelqu'un qui sache recoudre une plaie convenablement.
- Les autres sont occupés, messire, bredouilla le jeune infirmier. Il y a beaucoup de bléssés.
Gohrghoz parut réfléchir un moment. Après un court silence, il se laissa convaincre, promettant de rompre le cou du médecin si ses points de suture venaient à céder encore.

Dans l'enceinte de la cour, résonnaient les cris et les plaintes des bléssés, dans un brouhaha étourdissant et ininterrompu. Gorghoz s'éloigna des râles et des gémissements pour chasser la douleur qui commencait à poindre dans son crâne. Alors qu'il passait devant la porte donnant sur le donjon, là où avait été dressé le centre de commandement de la forteresse, il fut interpellé par l'un des soldats postés devant l'édifice.
- Eh, l'orc !
Comme Gorghoz levait la tête dans sa direction, le garde lui fit signe d'approcher.
- Entre, le capitaine veut te parler.
Le déchu s'exécuta et pénétra dans le donjon.

Les torches fixées aux murs projettaient dans la pièces leurs ondulations dansantes, éclairant les visages graves et exténués des officiers. Malgré la chaleur dégagée par les flammes, le froid mordant du dehors parvenait encore à s'immiscer entre les parois de pierre. Lorsque Gorghoz entra, il fut mené jusqu'au capitaine, le chef des opérations militaires du baron - ce dernier n'ayant pas souhaité se joindre à la campagne. "Capitaine" n'était qu'un surnom attribué par ses hommes, du fait de son passé militaire dans l'armée d'un puissant prince des Côtes Orientales. La plupart des hommes du barons étant de simples mercenaires, son expérience de soldat aparaissait comme inédit.

L'homme en question était allongé sur sa couchette, un chirurgien s'affairant à son chevet. Il ne paraissait pas plus vaillant que les mourrants du dehors. En effet, Gorghoz remarqua une profonde entaille lui tailladant le flanc gauche. Bien que le saignement eût été stoppé, le capitaine était indéniablement hors de combat.

- C'est donc toi, dont les hommes me rabbattent les oreilles depuis plusieurs jours. Le mercenaire orc, terreur du champ de bataille.
Gorghoz resta silencieux. Les yeux noirs du capitaine le fixaient d'une lueur amicale et respectueuse.
- Bien, fit le capitaine. Prends place, veux-tu ?
Il lui désignait un tabouret placé à côté de sa paillasse. Gorghoz s'y assit et se pencha avec attention vers le blessé.
- Que me veut le chef de l'armée ?
Il y eut un court silence. Le capitaine sembla réfléchir à sa réponse, puis se ratourna vers l'orc.
- Te demander un service. Tu vois, je ne peux plus me battre. Dans ces conditions, comment pourrais-je être légitime pour diriger cette armée ?
Gorghoz commençait à comprendre ce que le capitaine attendait de lui.
- Mais toi, reprit ce dernier, tu es fort. Tu as combattu avec mes hommes. Ils te respectent, tu les enhardit par ton ardeur au combat. Si tu les diriges à ma place, ils te suivront sans hésiter.
- Je ne suis pas un meneur d'hommes.
- Tu es un orc, répliqua le capitaine. La guerre fait partie de ton être. Les hommes t'obéiront, parce qu'ils te croient invincible. Tu l'as vu, je suis mourrant. Mais on peut encore sauver mon armée. Prends le commandement, repousse l'ennemi et fais-leur quitter cette maudite forteresse !

Le déchu resta silencieux. La responsabilité du commandement lui paraissait un fardeau trop lourd à porter. Mais la volonté de victoire se fit plus forte. Finalement, il sortit du silence.
- D'accord, déclara-t-il. Je mènerai tes hommes à la victoire.
Sous le regard reconnaissant du capitaine Gorghoz se leva, croisant les yeux interrogateurs des hommes presents dans la pièce.
-Comment comptez-vous vous y prendre ? Demanda l'un d'eux.
- À la manière des orcs, répondit Gorghoz. Par la peur.

GORGHOZ ~ Le déchuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant