Joana Seydi, béninoise. Elle n'a connu de son pays natal que les photos qu'on a bien voulu lui montrer. Son grand frère l'a élevée, au Sénégal, puis l'a abandonnée.
Adoptée. Son cœur s'est recollé, mais les fêlures ne se sont pas effacées.
Habitée par la colère, mais aussi par la terreur d'être de nouveau laissée de côté.
Elle parle à voix basse, raconte ces années passées dans un pays si différent du sien.
Le bouleau devant sa fenêtre, l'école d'où elle était si souvent renvoyée.
Ses parents adoptifs qu'elle a tant déçus.
J'écoute, en silence. J'imagine qu'elle s'est rarement confiée ainsi.
Fière d'en avoir la faveur.
Elle parle. Front contre front. Yeux fermés.
Avec lenteur, comme quand je m'applique à ne pas penser.
Doux murmure.
Ni noir, ni neige, ni rouge.
Sa voix et celle qui remplace la mienne.

— Tant que nous sommes vivantes, Blue, chuchote-t-elle, acceptes-tu de devenir ma boussole ? Celle qui me guidera quand je me perdrai en chemin ?

J'acquiesce, émue.
L'annonce du dîner éclate notre bulle.
On sursaute de concert et les rires reviennent.
Cœurs réparés.

*

— 10, 9, 8...

La voix du haut-parleur, aussi morne que l'assistance, résonne dans le réfectoire. Tout le monde se demande à quoi cela peut servir, mais certains comptent en silence.
Les doigts de Joana entrelacés autour des miens.
Convalescents, Harvey et sa sœur sont sortis de l'infirmerie pour l'occasion.
Ils se dévorent des yeux, ne cessent de se toucher, comme s'ils ne croyaient pas à leur chance.

— 4, 3, 2...

J'attrape mon précieux boîtier, l'allume.
L'un des survivants entame un morceau que je ne connais pas à la guitare. Deux autres le rejoignent.
L'espoir.
Voilà à quoi ça sert, de maintenir le cap dans la tempête.
Mon centre de gravité me regarde.
Loopings dans ma poitrine.
Calme à l'extérieur.
Tout ira bien.

— Bonne année Blue  !
Bonne année Joana.

Tant que nous sommes vivantsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant