A l'écoute

À l'écoute

Adam ne pouvait cesser de la regarder. Elle était de ces créatures au charme incontrôlé, au sourire éclatant, au regard doux et clair. Il avait l'impression de l'avoir vue cent fois sourire, s'étonner, pleurer ; en quelques semaines, elle lui était devenue si familière qu'il se surprenait à penser à elle trop régulièrement. Il pouvait passer de longues heures à s'imaginer caresser sa peau, embrasser ses lèvres, et surtout, écouter sa voix céleste, incroyable.

Tanja Tchekhova était aimée de toute l'équipe de tournage. Le réalisateur se félicitait intérieurement de l'avoir préférée aux dizaines d'actrices américaines qui s'étaient présentées au casting, toutes grandes, blondes et boudeuses ; il aimait les légères formes de la jeune femme, ses cils blond vénitien et sa bouche si expressive. Les techniciens saluaient sa simplicité et sa gentillesse ; elle attendait, silencieuse et souriante, qu'ils procèdent aux réglages les plus longs et complexes. La coiffeuse et le maquilleur étaient raide dingues de ses cheveux souples et de sa peau sans défaut. Quant aux autres comédiens, ils admiraient sans jalousie le talent de la superbe Russe, qui émouvait la caméra sans jamais faillir.

Ce jour-là, Adam s'avança timidement jusqu'à Tanja, un rouleau de scotch à pansements dans une main, un micro-cravate dans l'autre.

- Bonjour, Tanja, salua le jeune technicien en découpant un morceau de ruban adhésif. On remet un HF, aujourd'hui.

Il savait que les actrices n'appréciaient pas spécialement le HF, un petit micro qui devait parfois être collé entre les deux seins de l'intéressée. Cela démangeait, cela gênait, sans oublier qu'il était ici relié à un boîtier, nécessitant d'être dissimulé, parfois avec peine, pour ne pas être vu à l'image. Mais Tanja installait toujours l'objet avec bonne volonté, en remerciant son collègue. Adam fit les réglages nécessaires et s'éclipsa. Il la regarda rejoindre la maquilleuse pour les dernières retouches. Aussitôt qu'elle fut éloignée de lui, il se mit à écouter, par le biais du micro relié à son casque, la conversation qu'elle tenait. Il entendait ainsi ce qu'elle disait, ce que répondaient ses interlocuteurs, et tentait de déduire les actions qui se produisaient autour grâce aux divers bruits qui s'ajoutaient au paysage sonore.

Adam était conscient que ce qu'il faisait n'était pas correct. Parfois, il éprouvait des remords et éteignait la piste audio. Mais au bout de quelques minutes, le désir d'entendre la voix chaleureuse de l'actrice revenait, et il triturait fébrilement le boîtier métallique pour partager à nouveau la vie de Tanja.

- Ma puce, tu brilles beaucoup trop, je ne comprends pas pourquoi la poudre a aussi peu d'effet, disait la maquilleuse à l'autre bout du studio. Tu es nerveuse ?

- Un peu. De toute façon je finirai sûrement par suer de partout. C'est une scène difficile, aujourd'hui.

- Je comprends. Mais il n'y a aucune raison que tu ne réussisses pas. Tu nous éblouis chaque fois que tu passes devant la caméra.

- C'est gentil, Charline, merci.

Adam entendit un bruit affreux, sûrement celui des vêtements frottant contre le récepteur ; puis, du mouvement, plusieurs sons secs, de scotch qui se décolle, se recolle. Le jeune homme ne put s'empêcher d'imaginer le micro chanceux, niché au creux de la poitrine de Tanja, ballotté au rythme de son cœur.

Un brusque rappel à l'ordre le tira de sa rêverie. L'assistante à la réalisation criait de se remettre en place. La demoiselle rejoignit le plateau sous les derniers coups de pinceau de Charline. Le réalisateur leva la tête du script, adressa un bref sourire à la retardataire. En quelques minutes, le silence était fait. Adam savourait ces instants, où rien d'autre n'était plus important que la perfection de l'image, du son et du jeu. Une émulsion particulière ébranlait l'équipe de tournage, et les corps étaient parcourus d'une adrénaline à la fois unique et familière. Chacun avait un rôle défini et primordial, qu'il se devait d'endosser sans flancher.