Le prisonnier du Bloc D

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Quand il y repensait, il ne se souvenait plus de la dernière fois qu'il avait rêvé de marcher à l'air libre. Marcher simplement, sans aucune destination particulière, avec la sensation du soleil lui chauffant le visage de ses rayons. Cela faisait si longtemps qu'il était enfermé. Vingt longues années !

Dans la prison, on l'appelait le prisonnier du bloc D. C'était une institution. Il entretenait de très bonnes relations avec tous les gardiens et était toujours prêt à rendre service quand l'occasion se présentait. Les nouveaux venus sollicitaient souvent ses conseils. Même les plus anciens lui manifestaient du respect. Il avait acquis, à force de patience et de gentillesse, une réputation de véritable saint dans la prison. Il connaissait toujours des anecdotes susceptibles de faire oublier les pires situations, ce qui était une véritable bénédiction dans un lieu tel qu'une prison. Chaque histoire contenait toujours une leçon sur la vie, sur les hommes et sur tous types de questions. Il était une sorte d'ami, de confident, de père à qui l'on pouvait tout confier, tout raconter.

Il se souvenait encore de la première fois qu'on l'avait arrêté et emprisonné. Au début, il avait pensé qu'il s'agissait d'une erreur. Il avait maintes fois expliqué que dès que l'enquête avancerait, on le libérerait. Une année s'était écoulée, puis deux, puis trois, sans qu'il n'obtienne d'information sur sa situation. Personne n'avait pris la peine de le tenir au courant de la suite des événements. Quand il interrogea les gardiens, ces derniers lui répondirent qu'ils n'étaient au courant de rien, il devait parler à son avocat. L'ennui c'est qu'il n'en avait pas. On lui avait seulement expliqué au bureau du juge, qu'il lui serait commis un avocat d'office lors du procès.

Depuis, il avait patienté, enduré, espéré, et finalement s'était résigné. Quand on vint lui dire à la fin de sa dixième année, qu'il allait être libéré faute de preuve, il n'en croyait pas ses oreilles. Il y avait donc une justice ! On lui expliqua qu'il devrait s'estimer chanceux. Sa culpabilité n'avait pas été écartée. On le relâchait seulement faute d'avoir put prouver qu'il avait commis le forfait dont il était accusé. Ironie de l'histoire, il risquait tout au plus 5 ans de prison pour le cambriolage dont on l'avait soupçonné. Or, il avait passé 10 ans dans l'attente de son procès. Il eut mieux valu qu'on le condamne tout de suite, sans procès, au moins serait-il rentré chez lui au bout de 5 ans.

Quand il est finalement rentré chez lui, sa femme l'accueillit d'une manière glaciale. Il se sentait tel un étranger arrivant d'un pays lointain. Sa famille refusa de lui rendre visite et on semblait le fuir, comme par peur d'être contaminé à son contact. Il se sentait comme un paria et pourtant il se savait innocent. Comme le lui avait si justement fait remarquer sa femme, la justice l'aurait-elle emprisonné si longtemps, si il avait été innocent ? Il ne pouvait qu'être coupable. Telle injustice ne pouvait exister.

Il avait perdu tout espoir de convaincre qui ce soit de son innocence. C'était tellement douloureux qu'il ne voulait plus revivre tout cela. Tout ce qu'il souhaitait, c'est profiter de l'existence avec son épouse et prendre un nouveau départ. Il envisagea de trouver du travail, mais partout où il postulait, son passé finissait toujours par se savoir. Combien de fois lui a-t-on répondu d'un ton méprisant, qu'il ferait mieux de rester loin des gens honnêtes et que personne ne désirait l'avoir près de ses biens. Il se sentait condamné une seconde fois. Les voleurs n'avaient, semble-t-il, pas droit à une seconde chance.

Il envisagea un temps de voyager, de retourner sans son village natal, mais voudrait-on de lui là bas ? Son histoire leur était sûrement déjà parvenue. Il ne sentait pas la force d'endurer plus d'humiliation qu'il n'en avait déjà subi.

Le jour où la police vint l'arrêter à nouveau, il ne posa aucune question, ne protesta pas. Il se laissa seulement conduire. Il avait l'impression d'assister au film de sa vie, de l'extérieur, tel un spectateur. L'inspecteur l'informa qu'on le soupçonnait d'un second cambriolage. Il aurait été vu en compagnie des suspects. Il se défendit et expliqua qu'il connaissait certains d'entre eux, rencontrés lors de son incarcération. Bien sûr, nul ne le crût. Inspecteurs, procureurs, juges, tous semblaient convaincus qu'il était impliqué dans l'affaire. Ce n'était qu'une question de temps avant que les preuves ne l'accablent. On lui répéta qu'il ferait mieux de donner le nom de ses complices s'il voulait bénéficier de la clémence de la justice. Il avait été coupable avant d'entrer dans le poste de police. Dans l'attente de son procès, on le plaça encore une fois en détention. Au bout d'une semaine, sa femme envoya l'un des membres de sa famille l'informer qu'elle voulait divorcer. Elle ne pouvait rester plus longtemps l'épouse d'un hors la loi.

Il était devenu presque insensible à tout cela. Il ne ressentait plus, ni colère, ni haine, ni même tristesse. Les événements ne l'affectaient plus. Il avait accepté son sort. C'était un décret divin : il devait passer sa vie en prison. Peut être y avait-il un sens à tout cela dans l'ordre divin ? Il voulait y croire. Cela faisait 9 ans qu'il attendait son second procès. Il en vint à penser que le procès ne viendrait jamais. Il finirait sa vie en prison, tout simplement.

Quand on vint lui annoncer sa libération prochaine, faute d'avoir pu prouver pour la seconde fois sa culpabilité, il fut surpris. Au début, il ne réalisa pas très bien ce qu'on lui expliquait. Quand il l'entendit enfin, il ne sût que penser. Que pouvait-il bien lui rester à l'extérieur ? Il était désormais seul, sans ressources, sans aucune famille pour lui venir en aide. Ses parents était morts depuis des années et il n'avait plus de nouvelles de son seul frère encore en vie, parti vivre en Côte d'Ivoire. Quelle vie pourrait-il bien mener, avec l'étiquette de criminel qui lui collait si dangereusement à la peau ?

Tandis qu'il se dirigeait vers la porte, tenant à la main un sac en plastique contenant ses effets personnels qu'on avait bien voulu lui rendre, il se demanda quel goût pourrait bien avoir cette liberté retrouvée. Il huma l'air du dehors, de manière intense, comme s'il le respirait pour la première fois. Il contempla le ciel et remercia Dieu. Il allait enfin pouvoir vivre libre.

Le prisonnier du bloc DOù les histoires vivent. Découvrez maintenant