Le crépuscule apparaissait lorsque je me décidai à prendre la fuite. Mon corps meurtri tentait de suivre le mouvement du convoi dirigé par l'armée nazie, tandis que nous marchions péniblement vers le centre de "purification".
Quelques jours avant mon arrestation, je tentais de survivre à la lourde famine qui frappait ma ville. J'avais pourtant conservé une part de vie sociale et je me trouvais donc, par un bel après-midi d'Automne, dans un parc en compagnie de ma chère Angèle. Mais quelques instants après nos ébats affectueux, nous nous retrouvions encadrée par une patrouille de soldats nazis.
Je ne me souviens pas de leurs visages car avant même que mes yeux se posèrent sur eux, des mains rustres et dures m'empoignèrent le bras. La seconde d'après, ces mains frappèrent violemment mon visage tandis que j'entendais les cris de douleurs d'Angèle.
Je perdis connaissance.A mon réveil, je me trouvais allongée sur une table de consultation. Le visage d'un médecin apparut au dessus du mien. Il m'annonça calmement que j'avais été arrêtée pour « détention de faux papiers ». Ses mots me firent jaillir de mon état second. Je voulus hurler, me débattre jusqu'à m'enfuir de ce cauchemar, mais la réalité de la guerre me rattrapa lorsque le vieil homme au doux regard, anticipant ma réaction, se pencha vers moi et me souffla « Je suis désolé ».
Son uniforme nazi et ses paroles me désorientèrent. Je ne savais plus qui détester et j'avais peur. Peur pour ma vie, peur pour Angèle, peur pour mon frère, désormais seul, qui deviendrait fou en apprenant mon arrestation...Quelques jours après, je marchais en compagnie d'autres personnes qui me ressemblaient autant que nous étions différentes les unes des autres. Le médecin avait voulu bien faire en préférant que je rejoigne un camp de purification plutôt qu'un camp de travail, à cause de mon maigre gabarit. Je ne lui en voulais pas, car il avait été la seule lueur d'humanité de mes jours enfermés dans une pièce sale avant que je rejoigne le convoi. Toutes les scènes de haine, d'injustice et de chaos dont j'avais pu être témoin me firent perdre l'espoir de retrouver un jour un monde où les hommes et les femmes vivraient ensemble en paix.
Nous marchions depuis des heures au milieu d'une forêt dont le chemin que nous empruntions avait été fraîchement tracé . Je cherchais Angèle du regard dans un mince espoir de l'apercevoir, mais elle était introuvable. Le vide causée par sa perte se creusa un peu plus encore, ce qui me fit pleurer sans bruit...
Je heurtai à peine une jeune femme près de moi qui, au lieu de me montrer une attitude hostile, me regarda avec des yeux émus et pleins de tristesse. Comme moi, elle avait compris que nous nous dirigions vers la mort. La femme mis sa main tendrement sur son ventre rond et me dit:
" Comment t'appelles-tu ? » Elle parlait d'une voix saccadée, l'effort de la marche lui coupait le souffle.
" Abigaël. »je ne comprenais pas l'intérêt qu'elle avait à me demander cela mais je répondis quand même. Pourquoi sommes-nous ici, qu'est ce qu'il se passe je..." elle m'interrompis de la main et me fit un geste en direction des gardes à notre droite. Il n'y en avait aucun. Sûrement la relève... Soudain, je compris: il fallait m'enfuir. C'était maintenant ou jamais.
Je fis un bond vers les bois qui nous entouraient et je courus aussi vite que mes maigres jambes pouvaient me le permettre. Cette course me donna un souffle d'espoir qui me fit presque oublier la gravité de la situation. Malheureusement, mon courage me coûta la vie. J'entendis une puissante détonation puis une vive douleur me fit pousser un bref hoquet de panique. Je tombai en avant, allongée sur la mousse, et la lueur du soleil disparaissant derrière les arbres fut la dernière image avant le néant.