La Maladie des Couleurs - os changlix -

La Maladie des Couleurs

      Changbin marchait dans les rues tristes et vides de Heosaeg, ville grise et misérable. Tout était gris. Le ciel, qui retenait sa pluie, les pavés, encore humides du précédent désespoir du ciel, les maisons, dont même les volets bariolés étaient gris, et les gens. Les gens avançaient trop lentement, tous leurs traits coulaient vers le sol, comme leurs longs manteaux gris et leurs parapluies troués. Changbin ne faisait pas exception. Il était laid de grisaille. Il restait bien un peu de couleur, quelque part dans ses souvenirs, mais elle était noyée. Il ne connaissait même plus le son de sa voix, tant elle était devenue impersonnelle, quand il vendait des tickets de train, qu'il passait à la caisse d'un supermarché, ou qu'il appelait ses parents grésillants. Elle se colorait un peu parfois, quand il riait avec ses amis. Mais ses amis aussi étaient affligés par leurs vies monocordes et monotones, leurs voix aussi étaient grises, ils étaient presque des inconnus maintenant. Changbin arriva devant le béton gris de son immeuble, il monta en soufflant jusqu'à son appartement. Il était vide, à l'image de son cœur. Il posa sa baguette de pain mou et ses légumes sans saveur sur la table de la cuisine, puis il s'assit sur son canapé trop dur, pour regarder une émission ennuyante à la télévision. Changbin n'avait que dix-huit ans, mais sa vie était déjà passée.

      Un jour, pourtant. Un jour, pourtant, Changbin passa devant de skatepark de Heosaeg. Un skatepark défraîchi, et terriblement solitaire. Un jour, pourtant, Changbin y entendit de la musique. C'était suffisamment insolite pour attirer son attention. Ses pas le guidèrent vers le son, et il découvrit un jeune homme, blond, souriant et concentré, sur sa planche de skate. Il arriva en haut de la rampe, se préparant manifestement à faire une figure difficile, et chuta. Il lâcha un petit gémissement de douleur, et examina sa main, légèrement éraflée. Il reprit sa planche, s'apprêtant à se lancer à nouveau, quand il aperçut Changbin, qui l'observait, tout droit et impassible. Il s'approcha de lui, et Changbin put mieux observer ses traits. Il devait avoir le même âge que lui. Il avait un visage de poupon, avec ses joues rondes, ses lèvres pleines au cœur marqué et ses taches de rousseur. Ses cheveux formaient une jolie vague sur son front, et une croix argentée brillait à son oreille. Il souriait, sa planche sous le bras, avec ses chaussettes rouges.

- Salut ! Tu skates aussi ?

Sa voix était grave, son visage enfantin et cette voix d'homme à l'accent australien s'harmonisaient pour créer un être unique. Et son sourire. Changbin ne répondit pas.

- Moi c'est Felix.

Il lui tendit la main, Changbin la serra. Une chaleur orangée s'en échappait.

- T'as perdu ta langue ?

- Changbin ! dit-il précipitamment. Je m'appelle Changbin. Seo Changbin.

- Hey, Seo Changbin, détends-toi ! Ça fait combien de temps que tu n'as pas discuté avec quelqu'un ?

Beaucoup trop longtemps.

Changbin écarquilla les yeux, ne sachant pas quoi répondre, il commença à faire demi-tour. Felix l'effrayait. Le blond tendit la main, et ébouriffa ses cheveux.

- Je plaisantais, Changbin, ne sois pas si stressé...

Changbin rit faussement, prétendant être beau comme lui.

- Tu skates aussi ? demanda à nouveau Felix.

- Non... Mais j'aimerais bien apprendre.

C'était faux. Jamais Changbin ne s'était intéressé au skateboard, et voir Felix chuter l'avait convaincu de ne jamais monter sur une planche, même s'il ne s'était visiblement pas fait mal. Mais il voulait rester ici, le béton était moins gris qu'ailleurs.