OS: En attendant Jessica

En attendant Jessica

Thomas croque une nouvelle fois dans son sandwich qu'il estime définitivement mauvais. Pourtant, il ne peut s'empêcher de continuer, de mâcher, d'avaler ce pain de mauvaise qualité qui renferme une tranche de jambon à la texture douteuse. Cet en-cas lui a couté 10 euros, alors il ne peut se résoudre à le jeter dans une poubelle. Et puis ça l'occupe de manger, il a besoin de rester actif. C'est désagréable, il se sent observé, il a choisi la mauvaise place, le mauvais banc, celui à la vue de tous les passants, tous les voyageurs. Il déteste manger en public. Son regard est attiré vers le carrelage de la gare pour ignorer la foule mais de temps à autres il consulte avec sa main libre son portable dont l'écran reste inchangé.

Il aurait pu abandonner depuis longtemps mais il n'arrive pas à y croire, il s'acharne, il se dit que tout peut encore changer. Il ne veut pas se faire à l'idée que cette fille de Tinder lui a très probablement posé un lapin. Tout est désagréable, l'attente, le bruit ambiant, le sandwich, la sensation d'être scruté. Franchement, pourquoi avoir acheté de quoi manger ? Et pourquoi ce sandwich en particulier ? Il n'a même pas faim, mais étant assis près de la pseudo boulangerie de la gare à midi passé, l'odeur de la nourriture l'a fait craquer.

L'emballage est vide : enfin, il a tout englouti. Et rien n'a changé. Thomas s'essuie la bouche d'un geste rapide de la main avant de repenser à la serviette en papier qu'il avait posé à sa droite. Tant pis, il passera surement pour un malpropre aux yeux de quelques passants, ça ne fait rien. Il consulte pour la neuvième fois les derniers messages que lui a envoyés cette fille, Jessica. Depuis bientôt deux heures il n'a aucune autre information, depuis deux heures « Je vais prendre ma correspondance, j'arrive dans 30 minutes ». Aucun train n'est affiché en retard et d'ailleurs, celui dans lequel elle était censée se trouver est arrivé depuis plus d'une heure. Il a renvoyé des messages, il l'a rappelé à maintes reprises, mais rien, toujours rien. A-t-elle raté sa correspondance ? A-t-elle rencontré un problème avec son téléphone ? Il s'imagine tous les scénarios possibles et dans chacun d'entre eux il ne peut rien faire de plus.

Dès qu'il songe à partir, Thomas se dit que c'est peut-être à cet instant qu'elle va montrer un signe de vie. C'est toujours comme ça que ça se passe. Lui vient alors l'idée qu'il risque de croiser des abonnés dans cette grande gare parisienne, il est même surprenant que ce ne soit pas encore arrivé. Cette pensée l'effraie. Il se sent tellement stupide d'être dans une telle situation, il ne souhaite pas être découvert, surtout pas par des fans, il se décide alors à se lever pour effectuer un arrêt toilettes afin de réfléchir. Au bout de quelques mètres il reçoit un message, il se précipite pour le lire, son cœur commence à s'exciter mais lorsqu'il voit le nom de Damien s'afficher il se sent déçu. Mais son message est étrange.

« A gauche. »

Comment ça, à gauche ? C'est quoi son problème ? Il n'a vraiment pas envie de parler à son meilleur ami, il n'est pas d'humeur à blaguer ou faire l'idiot, il voudrait juste pouvoir rentrer chez lui et s'enfoncer sous sa couette pendant environ 10 ans. Malgré tout, Thomas ne peut s'empêcher de regarder bêtement vers sa gauche, comme si Damien allait soudainement apparaî...

Thomas se fige, cligne plusieurs fois des yeux, l'esprit embrumé, cette silhouette là-bas à gauche correspond fortement à celle de son meilleur ami. Cette taille, ce sweat Wankil, cette coupe de cheveux, cette posture, tout concorde. Thomas ne comprend pas, il ne comprend pas ce que son acolyte fait là à moitié caché derrière des guichets, il ne comprend pas pourquoi son ami ne bouge pas d'un pouce. Pour débloquer la situation il s'avance progressivement vers lui. Tandis qu'il s'approche, Thomas remarque le visage très sérieux qu'affiche Damien. Ils ne se font même pas la bise pour se saluer puisqu'aucun des deux ne prend cette initiative.