Quatre ans auparavant
Elle était seule, enveloppée dans des draps de bonne fortune qu'elle avait dérobé au petit matin, alors que Livia - sa servante depuis quelques années désormais - apprêtait sa klinê*. La lumière des cieux disparaissait peu à peu à l'horizon, dévoilant la noirceur de la nuit. Avec elle, un souffle glacial se glissait entre les pans de son péplos* jusqu'à s'étendre sur chaque parcelle de sa peau translucide. Un frisson lui dévala l'échine tandis qu'elle s'attardait sur chacune des étapes de sa fuite.
Cette nuit était la dernière qu'elle passait là. Elle n'aurait pas de seconde chance : qu'elle parvienne à ses fins ou non, jamais plus elle n'aurait le plaisir de revoir ce paysage si familier. Sous ses yeux, une aquarelle de bleus et de rouges dansaient à l'unisson entre les ruelles presque vides, sur les quelques pavés sillonnant la place et les toits en paille. À l'horizon se dessinait le temple, gardien de leur cité et détenteur de leurs offrandes. C'était l'ultime barrière qu'elle devrait franchir avant d'atteindre sa liberté.
Libre... elle serait libre !
Elle peinait à croire que sa vie ne dépendrait plus d'un homme, c'était trop irréaliste pour être possible. Abandonner ses parents lui coûtait, toutefois elle n'était pas capable de sacrifier sa liberté pour eux. Elle les chérissait plus que tout. Sa mère l'avait aimée aussi fort qu'elle le pouvait, prenant grand soin de lui inculquer chacune des paroles, chacun des gestes qui faisaient d'une femme celle qu'elle était. Son père, quant à lui, avait été le plus bon de tous les hommes. Si certains traitaient leurs progénitures telles d'insignifiants esclaves auxquels on offrait un avenir déjà tracé, ce n'était pas son cas. Il l'avait estimée à sa juste valeur depuis ses débuts, lui enseignant si bien le pouvoir des mots que les erreurs d'une vie dont il fallait s'instruire, sous peu de perdre la sienne. Il l'avait initiée à l'art des combats, allant au-delà de son devoir de la rendre apte à donner naissance à un fils robuste qui se livrerait sans appel à la guerre - si tant est qu'il y en ait une.
Il l'avait affectionnée bien plus que sa propre vie, et tous ses efforts payaient finalement en ce triste jour où elle abandonnait les siens pour une vie de choix et d'indépendance.
L'espoir était source d'erreur, mais elle ne pouvait s'empêcher de rêver à ce futur qu'elle touchait du bout des doigts. Un seul doute subsistait, guettant ses pensées telle une ombre menaçante : et si elle venait à échouer ? Qu'arriverait-il si Pâris manquait à sa tâche ? Qu'adviendrait-il d'elle ?
Son projet reposait en grande partie sur son ami. Il était le seul à savoir - bien qu'elle soupçonnait également ses parents d'avoir prédit sa fuite depuis plusieurs mois déjà, si ce n'est depuis toujours. Elle devait lui faire confiance. Pour lui, comme pour elle. Rien ne valait cette liberté dont elle avait toujours rêvé : ni ses sentiments qu'elle avait toujours eut tant de peine à réfréner envers son ami, ni ses parents qu'elle aimait à en perdre un membre.
Un membre, mais pas sa liberté. Tout, excepté son libre arbitre.
Elle avait consacré sa vie à ce jour. Rien ni personne ne pourrait l'empêcher d'atteindre son but. Quel que soit l'obstacle, elle le franchirait sans crainte et sans remord. Quiconque nuirait à son dessein de toujours, subirait les foudres de son impatience.
Dans un jour, elle serait libre.
Aussi libre que la brise satinée aux relents de vigne - cultivés non loin d'ici - qui lui chatouillait les narines.
Elle serait enfin libre.
Libre...
*(lit ou banquette)
*(tunique en laine)
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🌸 | L'Épopée de Nausicaa
Historical FictionNausicaa à payé sa liberté d'or là où les plus grandes richesses sont d'argent. Coupable de crimes qu'elle est la seule à connaître, la jeune femme prude qu'elle était, s'est effacée pour laisser apparaître ses fantômes les plus tourmentés. Lorsqu...