🌸 | L'Épopée de Nausicaa

🌸 ᴄʜᴀᴘɪᴛʀᴇ ɪ 🌸

La chaleur régnait en cette fin de matinée, là où s'amassaient des dizaines de citoyens sur la grande place de Némée. Tous prêts à échanger leurs oboles* contre quelques fèves, choux, radis, et autres fruits et légumes. Un peu plus loin s'étendaient les vendeurs de céréales, de pains et de galettes, puis ceux réservés au plus riches : des étalages remplis de viandes et poissons frais.

Nausicaa se faufilait tant bien que mal parmi la foule, apercevant déjà la ruelle dans laquelle elle devait se rendre. Elle détestait autant ces marchés quotidiens qu'elle les aimait. Ceux-ci lui offraient discrétion au seul prix d'un brouhaha assourdissant.

Enfin, elle atteignit l'orée de la venelle et s'y glissa sans perdre une seconde, se délestant du vacarme de la ville. Après quelques enjambées pour le moins dynamique – plus vite elle s'y trouverait, plus vite elle serait déchargée de sa course –, une odeur nauséabonde vint lui chatouiller les narines. À sa droite gisait un cadavre de rat dont le ventre était perforé. Tout son contenu était déversé sur le sol terreux, et Nausicaa ravala de justesse son repas du matin. Elle poursuivit son chemin jusqu'à la prochaine intersection, balayant d'un revers de la main l'image de cet animal mort, pour se concentrer sur sa transaction à venir.

Elle s'engagea finalement parmi les caisses brisées au bois décrépit, s'appuyant contre le mur de pierre à sa droite. Une fois ce ramassis de moisissures traversé, Nausicaa releva la tête : il l'attendait déjà. Elle n'y voyait pas très clair au fond de cette impasse, les toits des maisonnées assombrissait cette partie là de la rue du matin au soir. Elle s'avança de quelques pas, une main sur le manche de sa dague en cas de nécessité, et l'autre sur l'objet de cette rencontre.

Plissant les yeux dans cette obscurité, elle distingua les contours de son client : grand, très grand, crâne dégarni et surtout, tendu comme la corde d'un arc. Elle se permis un soupir imperceptible. Ce genre d'hommes, elle y était habituée. De grands costauds aux allures de gladiateurs, sans l'intelligence et l'expérience des stratèges.

Il n'y aurait pas de problème, et elle en était soulagée. Elle n'avait de cesse de se répéter que tout cela était mauvais, cependant elle continuait, encore et encore. Comme si elle ne demandait qu'à être punie, à subir les foudres de dieux mécontents. Mais rien ne lui arrivait jamais. Une bonne étoile semblait veiller sur elle. Ce pourrait-il qu'il s'agisse de lui ? Aucune chance. Pas après ce qu'il s'était produit.

Assaillie par de douloureux souvenirs, la jeune femme troublée qu'elle était, chassa aussitôt ses cruelles réminiscences, replongeant immédiatement dans l'instant présent.

— Tu l'as ? résonna la voie rocailleuse de son client.

Elle acquisea et, dans la pénombre, il parvint à discerner son hochement de tête, l'incitant ainsi à s'avancer. Lorsqu'il fut suffisamment proche, elle tendit dans son poing droit un bout de tissu – dont chaque extrémité était ramenée au centre en une sorte de nœud, dans le seul but était de dissimuler son contenu. Doucement, elle en déplia chacun des rebords jusqu'à dévoiler la raison de leurs présences à tous deux.

— Avales-en une, et tu ne seras plus qu'un vulgaire sac balbutiant tout seul durant les deux heures qui suivent. Avales-en quatre, et tu es déjà mort, acheva-t-elle avec une ébauche de sourire.

Elle s'approcha et glissa sa main juste sous le nez grossier de son client, lui soustrayant de suite son envie de lui faire mordre la poussière. L'effet fut immédiat : hébété, il fit un pas en arrière, signe évident de sa reddition.

Il ne s'attendait apparemment pas à tant d'audace de la part d'une femme. C'était toujours pareil. En voilà un autre qu'elle venait de glisser dans son sac, à ses pieds si elle lui en faisait la demande.