◣PARTIE UNIQUE◥

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"Il avait pour habitude d'écrire des poèmes avec passion pour celle qui avait capturé son cœur."

Le silence régnait dans une petite pièce doucement éclairée par les rayons du soleil qui se frayaient un chemin à travers les stores. Diverses affaires se trouvaient sur le sol ainsi que sur les meubles tandis que des vêtements étaient accrochés sur une chaise de bureau, rendant cet endroit désordonné. La fenêtre entrebâillée donnait sur le jardin de l'internat, laissant ainsi de l'air frais entrer, faisant fuir l'odeur de renfermé installée depuis quelques jours. L'un des deux élèves qui partageaient cette chambre rêvassait avec le sourire aux lèvres, allongé de tout son long sur son lit défait. Sa tête légèrement tournée fit glisser des mèches de cheveux couleur charbon sur son front, révélant une mine angélique, une expression paisible. Son portable qui ne cessait de vibrer à ses côtés ne le fit bouger d'un pouce, l'univers fantastique que son imagination était en train de créer captivait toute sa précieuse attention. Les nombreuses pensées du noiraud l'avaient hypnotisé, aucun bruit ne pouvait le déranger ou bien le ramener à la réalité, ce monde qu'il aimait tant avait capturé son entendement pendant plusieurs instants. Son anxiété pourtant si présente le long des journées de travail s'évaporait pendant ces moments que seul lui pouvait comprendre, ce calme le berçait délicatement dans ses bras pendant que lui réalisait ses rêves les plus fous dans une vie parallèle. Cette activité pouvait durer des heures, élaborer le scénario qu'il avait en tête puis ajouter des détails plus infimes les uns que les autres pour que tout soit parfait à ses yeux était le refuge de ses problèmes quotidiens. Les songes qui construisaient cet univers qui apaisait le jeune homme naturellement craintif furent troublés par le prénom qu'il essayait de chasser chaque jour de son esprit, en vain. Ces lettres lui revenaient toujours en tête, il n'arrivait pas à en trouver la raison et n'avait pas la capacité de s'en débarrasser, même s'il le voulait terriblement. Ce nom fut rapidement accompagné par un visage aux traits fins qui prit aisément la place de l'environnement imaginaire tant façonné, faisant raidir le rêveur ramené violemment à la réalité. La respiration de ce dernier se fit moins régulière et ses mains devinrent étrangement moites, le portrait redessiné à la perfection par ses souvenirs le rendit affreusement faible, il lui était devenu difficile de contrôler correctement son esprit qui offrait des réactions qui lui étaient encore méconnues. La jeune femme réussissait à le mettre dans tous ses états quand elle n'était pas présente physiquement, quand la distance les séparait, et cela le rendait fou. Ne trouvant plus de position confortable, le lycéen se redressa lentement et s'assit en tailleur sur un bout de couette qu'il restait sur la couche avant de déposer son visage fin dans ses paumes humides. Tout son être se trouvait tourmenté, il ne savait aucunement dompter ses émotions encore trop fortes pour un garçon aussi fluet que lui, mais il se sentait inexplicablement bien à chaque fois que sa bien-aimée lui venait en tête sans qu'il ne le demande, et il ne pouvait nier le fait qu'il appréciait cela malgré sa confusion. Dissimuler cette exaltation qui découlait de sa muse pour ensuite prendre sur soi-même devenait difficile pour le rêveur qui était habituellement très expressif, transformant cet effort en un poids qui chargeait considérablement ses minces épaules. Le jeune homme devait d'une quelconque manière délivrer ce sentiment qu'il connaissait encore peu, cette euphorie découlant de la noiraude que son cœur vivait et commençait à adopter, il avait besoin de tout exprimer pour se sentir mieux.

Les pensées du noiraud commencèrent à se cogner violemment, cherchant désespérément une quelconque sortie que le jeune homme résistait à offrir. Les mots commencèrent à se mélanger et à se bousculer dans la tête du songeur qui n'avait plus la capacité de les contrôler correctement, il ne possédait plus aucun pouvoir sur lui-même à cause de cette confusion qui émanait d'un simple nom. Le besoin et l'envie de déposer ce qu'il ressentait sur un bout de papier devint insupportable, son corps n'avait plus la faculté de maintenir correctement cette extase qui se passait en lui. La mallette de sentiments que son cœur avait pris soin de souder quelques jours plus tôt venait d'exploser, plus rien ne pouvait être contenu en lui après tout ce temps d'emprisonnement insoutenable pour son être tout entier. Attirés par le crayon qui trônait sur le bureau encore inoccupé, ses membres se dirigèrent vers ce bout de bois qui était le seul moyen de délivrer cet enivrement devenu trop important pour lui. Sa personne prit place sur l'assise qui grinça sous son poids avant de diriger sa main vers le seul tiroir du meuble, ses doigts attrapèrent une feuille légèrement jaunie avec le temps et la posèrent avec lenteur sur la secrétaire maintenant vêtue de son habit favori. Le rêveur glissa la clef de ses sentiments entre son index et son pouce avant de la positionner correctement pour que la mine touche avec douceur la dentelle blanche qui, bientôt, sera décorée des plus belles lignes de coutures que l'on pouvait lui offrir. Les premiers mots se dessinèrent difficilement, l'aiguille d'encre se faisait hésitante, elle avait peur de mal dépeindre les précieux joyaux que contenait l'écrin englouti dans l'âme du noiraud qui s'assombrissait un peu plus chaque jour, elle voulait le faire sourire avec des mots doux, rester fidèle à ce qu'il ressentait pour sa muse qui ne cessait d'occuper son esprit. Elle devait permettre l'ouverture du coffre enfoui en lui qui accaparait immodérément sa raison pour faire ressentir ce sentiment amoureux à travers de simples vers qui, ensemble, formeraient une déclaration à la hauteur de ses attentes. Quelques minutes de silence pendant lesquelles le doute se fit terriblement présent, un souffle chaud qui vint rencontrer la main en suspens et un regard passionné suffirent pour que le crayon chasse sa timidité et se mette à danser avec élégance sur le papier vierge. Les pas de valse s'enchaînaient avec aisance sur la musique que jouait le cœur du jeune homme, l'ornement de lettres s'embellissait et les notes se firent sincères, le bal de pensées qui ne cessait de perturber l'adolescent se mariait avec finesse à la chorégraphie qui se jouait devant ses yeux brillants. Le couple se baladait en rythme dans l'entièreté de la salle réchauffée par la lumière du lustre accroché au centre du plafond, sans véritablement faire attention au monde autour d'eux, tous les deux bercés par la mélodie des violons. L'étoile de ce tableau inondait le bout de tissu sous sa vague d'encre, son cavalier suivait amoureusement l'harmonie de sentiments dirigée par l'écrivain, complètement hypnotisé par le regard profond de sa compagne. Ses yeux ne brillaient que pour elle, cet éclat pure était le fruit de cette passion immodérée et si soudaine, de ce sentiment intense qui découlait de simples prunelles brunes pourtant si spéciales pour celle qui détenait son cœur.

La mallette qui ne cessait de peser sur la poitrine du chef d'orchestre se vidait progressivement grâce aux vers tracés par les deux amants, composés par cette passion si effrénée, par cet union qui n'allait durer que quelques instants pour ensuite se déchirer indélicatement et s'engouffrer dans l'oubli. La douce mélodie qui baignait les amants dans cette exaltation amoureuse commença à se faire plus lente, annonçant avec subtilité la fin du spectacle bénin. Les pas des acteurs devinrent moins rapides, mais leurs expressions restèrent aussi intenses qu'au début de la scène, les deux se délectaient de ces derniers moments l'un avec l'autre. Plus les secondes défilaient, plus leurs mains liées depuis la naissance de cet idylle se resserraient et moins les battements de leurs cœurs respectaient leur rythme habituel, l'effroi de devoir se quitter aussi brutalement rongeait peu à peu la bulle qui gardait les deux danseurs à l'écart du monde, et ils le ressentaient à la perfection. Les sourires s'effacèrent peu à peu jusqu'à la dernière note de violon qui, aussi délicate que les autres, résonna dans les corps des deux jeunes gens dont les visages n'exprimaient plus aucun amour, tout venait de disparaître pour laisser place à un vide monstrueux. Le silence de la salle était assourdissant et les regards ne voulaient plus rien dire, les mains brûlantes se délièrent pour mettre fin à la valse passionnée du couple, l'étincelle qui avait réchauffé les esprits des amants venait de s'éteindre, laissant ainsi les deux âmes grelotter face au froid qui commençait à doucement les consumer. Les danseurs restèrent l'un devant l'autre sans prononcer un mot et se dévisagèrent comme de parfaits inconnus, observant chaque trait, chaque petite parcelle de peau de la personne qui faisait face à eux. Un ravin venait de se créer entre eux et ne cessait de s'agrandir, les éloignant un peu plus l'un de l'autre. L'étoile de la pièce fut la première à s'en rendre compte et fit un pas en arrière qui fissura son être tout entier, puis un autre qui fit ruisseler de l'eau salée sur ses joues rougies; elle devait le quitter, cette absence de sentiments venait de le prouver. Elle se tourna sans dire un mot et quitta la scène avec hâte, sa robe couleur neige et ses cheveux noirs corbeau qui tombaient sur ses épaules furent les dernières choses que son amant vit avant de s'effondrer sur le sol glacé, les souvenirs gravés en lui à jamais.

Le poète posa son crayon blanc sur le coin du bureau et glissa la feuille entre ses mains avec un regard hésitant avant de la plier avec la plus grande des délicatesses et de la glisser dans un étui légèrement rosé. Ses doigts scellèrent son travail avec adresse et laissèrent le pli sans nom, les vers remplaçaient avec simplicité la signature du jeune homme. Ce dernier se leva de l'assise sans lâcher son travail qu'il posa sur sa poitrine et s'arrêta devant la porte de la chambre qui le séparait du monde extérieur, dont celle qu'il aimait à la folie. Cette simple planche de bois lui fit perdre tout courage d'aller rejoindre l'adolescente, la peur de se ridiculiser avait remplacé avec facilité le peu de bravoure présent en lui. Ses membres firent demi-tour pour rejoindre la couche qu'il avait quittée peu de temps avant et lâchèrent sans grande attention le fruit de son travail dans un sac, tombant ainsi sur une pile d'enveloppes colorées laissées là depuis déjà quelques jours.

"Ce même scénario se répétera le lendemain, comme chaque jour depuis déjà trois longs mois"

Poèmes D'Amour | JunHeeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant