Chapitre 2 : Les masques tombent

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Du sang. Des corps. Du feu. Des pleurs.
Voilà de quoi était composée la scène.
L'espace d'un instant, Alizus ne pensa à rien.
Le regard vide, levant les yeux au ciel, on aurait pu penser qu'elle maudisait silencieusement une quelconque divinité.
En réalité elle se blâmait elle-même pour avoir baissé sa garde au moment où il ne fallait pas.
Elle se haissait d'avoir pu être si stupide, elle qui avait toujours fait preuve de méfiance et qui observait la moindre chose étrange dans le royaume.
C'était d'ailleurs le travail de Carlos.
Mais où était-elle passée ?
Alizus ne l'avait pas vu depuis le banquet, et commençait sérieusement à s'inquieter.

Elle décida d'arpenter les rues du royaume avec sa longue cape, lui permettant de garder l'anonymat comme sur curiouscat.
Ce n'était pas la première fois qu'elle le faisait : au fond, même si sa manière de gouverner n'était pas très appréciée, elle se préoccupait tout de même du peuple.
Elle avait un grand cœur, de l'empathie même, mais lorsqu'elle posait sa couronne sur sa tête, cette partie d'elle s'en allait, laissant place à la froideur et l'indifférence.

Elle se baladait dans la rue la plus pauvre d'Eligius. On y trouvait des orphelins (comme Nono) ou bien des familles ayant perdu leur foyer du jour au lendemain à cause des taxes qu'ils n'avaient pas payé.
Et c'est à ce moment là qu'elle aperçut dans une étroite ruelle Carlos, du moins, sa cape.
Elle aussi se faufilait souvent dans les rues pour écouter les rumeurs, les potins, et tout ce qui pouvait être utile pour coincer des coupables afin de maintenir l'ordre.
Sa cape noire semblait basique, mais la reine pourrait la reconnaître parmi cent autres.

Elle décida de se placer dans la ruelle d'en face, perpendiculaire à la rue, de manière à ce qu'elle ne soit pas à découvert : Carlos pouvait elle aussi reconnaître sa cape.
Cette dernière était en train de donner une bourse remplie d'écus à une mère de famille, qui semblait être triste.
Pourquoi être dans un état pareil alors qu'elle allait pouvoir nourrir ses nombreux enfants pendant très longtemps ?
Les plus jeunes ne comprenaient pas ce qu'il se passait et observaient leurs aînés verser quelques larmes.
Alizus était confuse mais surtout intriguée, la comtesse de Renbe avait intérêt à lui donner des explications quand elle reviendra au château.

                                ■

Après le souper, la reine se retira et alla dans la salle de réunion afin d'établir une stratégie avec Carlos et le général de guerre.
Le trio se réunissait à chaque fois que le duc de Berne passait à l'action, et cette fois ç'en était trop, ils DEVAIENT entrer en guerre contre son peuple et mettre fin à cette mascarade.

Elle entra dans la pièce et vit Carlos de dos, faisant face aux fenêtres.
Il y avait une vue parfaite du massacre qui s'était produit quelques heures auparavant.

- Où est le général ? Je ne l'ai pas vu depuis hier, s'interrogea Alizus

- Il ne viendra pas, réponda la comtesse avec le sourire au coin des lèvres

- Comment ça ?

Carlos se retourna et afficha un regard froid. Bien sûr, la reine l'avait déjà vu quand elle travaillait, mais jamais quand elles étaient entre elles, entre amies.

- Disons qu'il a...démissionné.

- Mais qu'est-ce-qui t'arrives ? C'est bien la première fois que je te vois être sarcastique comme ça.

- Aliz..Aliz..on pense tous connaître nos amis jusqu'à ce qu'on voit leur vraie nature.
Certains jouent un rôle pendant des années, pendant toute une vie pour arriver à leur fin.
Évidemment, c'est un talent qui n'est pas inné chez tous.

La comtesse avait toujours ce sourire inquietant.

- Qu'est-ce-que tu me racontes...je sais très bien qui tu es : cela fait maintenant quatre hivers que nous collaborons ensemble ! Tu es Carlos la comtesse de Renbe, une des seules personnes de ce royaume à qui je confirais ma vie s'il le faut.
Maintenant arrête tes sotises, nous avons du pain sur la planche.

Elle ignora totalement ce qu'elle venait de dire et continua :

- Comtesse de Renbe...étrange comme nom, non ?
Tu as déjà entendu parlé d'une contrée pareil ?

- Tu commences sérieusement à me fatiguer. Je n'ai pas le temps pour ça Carlos. Passons aux choses sérieuses.

- Le voici ton problème. Tu t'obstines tellement avec ton petit royaume que tu ne prends même pas la peine d'observer les gens qui t'entourent.

- Détrompe-toi, je t'ai observé tout à l'heure dans la rue.
Pourquoi as-tu donné cette bourse à cette pauvre femme ? Elle était toute chamboulée...

- Parce que la vie de son mari était le prix de cette bourse.
Tu vois, ton peuple est tellement affamé qu'il est prêt à tout pour pouvoir manger un bout de pain.

Alizus était bouche-bée. La comtesse avait complètement raison mais elle avait refoulé cette vérité depuis des mois.
Néanmoins, elle ne comprenait toujours pas où elle voulait en venir, et quelque chose lui disait qu'elle n'allait pas apprécier ce qu'elle allait entendre...

- Qu'est-ce-que...

Carlos l'a coupa

- Je l'ai payé pour qu'il prenne la place de Nono. J'allais tout de même pas tuer la meilleure amie de Marius...

La comtesse et le vassal vivaient en effet une idylle depuis presque trois hivers.

- Je me doute bien que tu n'oserais pas faire de mal à ta dulcinée, ni même faire de mal à tes amies.
Explique-toi.

- Tu n'as toujours pas compris ? pouffa Carlos
Tu manques de réflexion pour quelqu'un qui dirige un royaume...
C'est probablement ça qui tu mèneras à ta perte, qui est en train de te mener à ta perte

Le cerveau de la reine cogitait, bouillonait, elle se masquait encore une fois la vérité qui était pourtant évidente : la comtesse avait trahis la honda. Mais pourquoi ?

- Explique ton geste.

- J'ai fait ça pour te distraire évidemment. Quoi de mieux que d'orchestrer la fausse mort de ta sœur adorée ?

- Tu...tu es une fidèle de Maëllus...

La rage montait. Mais la reine gardait son sang-froid, elle n'allait pas agir avant d'avoir écouté entièrement les explications de son "amie".

- Fidèle ? On peut dire ça comme ça.
Quand on vient de Renbe, on n'a pas besoin de prêter allégeance à Berne.

Renbe. Berne. Tout prennait sens maintenant. La reine s'asseya, elle ne pouvait pas rester debout plus longtemps.
Sous le choc, elle commençait honnêtement à remettre en question sa couronne. La méritait-elle ?
Son peuple était affamé, ses propres amis étaient des imposteurs, jusqu'à maintenant elle faisait confiance à la fille du duc de Berne.
Comment se regarder dans le mirroir après une erreur aussi grotesque ?

- Comment as-tu pu...je te faisais confiance Carlos. Tu aurais très bien pu renier ton père et vivre en paix à Eligius avec Marius. Comme tu le faisais jusqu'à maintenant.

- C'est là que tu te trompes : je n'ai jamais été de ton côté.
Même le jour où je t'ai apporté la tête de ce pauvre paysan.
Tu as toujours été si naïve que tu crois la moindre rumeur.
C'est moi qui ai orchestré la mort de tes chers parents, mais cette fois ce n'était pas une mise en scène, ricana Carla

C'était la goutte d'eau qui fit déborder le vase.
Alizus en avait entendu assez.
Elle mit toute sa tristesse de côté et effaça tous les bons souvenirs qu'elle avait de son "amie".
Elle empoigna sa dague qu'elle portait toujours sur elle et se dirigea vers la comtesse, elle était prête à mettre fin à ses jours.

- Espèce de...

Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase que l'autre dégaina son arbalète qu'elle cachait derrière sa cape depuis le début.

- Tu croyais tout de même pas que j'étais aussi stupide que toi !
Si je te révèle tout cela aujourd'hui c'est bien pour une raison...

Carlos s'apprêta à appuyer sur la détente en direction de la reine quand tout à coup une ombre furtive apparût et cria d'une voix stridente :

- Arrête !

C'était Marius, en pleurs.
Elle était là depuis le début, et venait elle aussi de découvrir la face cachée de sa bien-aimée.
Mais jusque là, elle ne lui avait apporté que du bonheur, alors, que choisir ?
L'amour ou l'amitié ?
L'amour ou la famille ?

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 15, 2018 ⏰

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