Chapitre 01.

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En face de moi, un manoir. Imposant et d'une architecture complexe et travaillée comme on en voit rarement, sauf chez certains magisters excentriques. Je suis dans ce qui semble être la cour de celui-ci. Elle est sûrement joliment décorée, très fleurie, verdoyante et colorée à la fois en pleine journée mais elle devient très sombre lorsque la lune est haute dans le ciel, prenant un air mystérieux. Il fait actuellement nuit. Je ne sais pas ce que je fais là, je n'habite pas ici. Ce n'est pas la résidence Pavus, ni celle de ma famille, ni la mienne. Je ne connais pas ce lieu. Qui donc vit ici?
Soudain, je me mets à avancer. Je ne guide pas mes pieds, ils marchent automatiquement vers la porte se trouvant à une vingtaine de mètres de moi. C'est une petite porte en bois renforcé par quelques barres d'acier, tout ce qu'il y a de plus basique.
Le problème, c'est que je ne contrôle pas mes mouvements.
Que se passe-t-il donc ? Pourquoi rien ne répond? Suis-je victime d'un mauvais sors?
Mon regard se pose sur une petite plaque de bronze gravée accrochée au mur se trouvant sur la droite de la porte. Sur cette plaque, je lis ce qui ressemble à des numéros, mais ils sont flous, impossible de dire de quoi il s'agit. Il y a aussi ce qui me semble être un nom. Mais lequel ? Je ne peux pas le lire non plus. Pourtant, tout semble neuf.
Je ne comprends pas comment cela est possible. Je tente de porter mon regard ailleurs, mais les choses en ont décidé autrement et mes yeux restent comme figés devant celle-ci. Impossible de détourner le regard, c'est comme si cet objet voulait me montrer quelque chose qu'il m'est impossible de voir.
J'essaie de bouger mon bras, ma main et mes doigts. Comme je m'y attendais, je ne peux pas le faire. Très bien. Celui qui joue avec moi ne paie rien pour attendre. Je n'ai qu'une seule option pour le moment : laisser mon corps être une marionnettes aux fils invisibles.
Il fallut plusieurs minutes à mon corps pour finalement se mouvoir. Je pivote légèrement sur ma gauche, mon bras se soulève lentement, mes doigts s'agitent, mon poignet remue puis ma main se referme sur la petite poignée en acier. Je clanche violemment cette dernière. Elle n'est pas fermée.
Mon second bras s'anime lorsque l'autre revient pendre sur le côté. Il pousse délicatement la porte qui s'ouvre sans le moindre bruit, puis revient mollement le long de mon corps.
Mes poings se serrent, mon cœur aussi d'ailleurs.
L'atmosphère n'est plus le même, plus aussi calme, chaleureux et accueillant que celui régnant dehors. Il est désormais stressant, l'air est lourd, une tension est palpable. Mais où ? Entre qui, ou quoi ?
J'entre dans la pièce. Aucune lumière, je ne vois rien. La faible lueur de la lune pénètre seulement dans l'encadrement de la porte, mais pas assez pour me permettre de distinguer l'endroit dans lequel je suis entré. Il n'y a rien pour m'aider à connaître les lieux. Peut-être une seconde entrée ? Ou une issue de secours?
Durant plusieurs minutes, je ne bouge plus. Mes yeux perçoivent vaguement la silhouette d'une porte sur le mur d'en face. Je vois par la même occasion un faible faisceau de lumière rouge-orangée en dessous de la porte. Qu'est-ce donc?
En m'approchant un peu plus de ladite porte, j'entends des voix et ce qui me semble être des pleurs. Le son est très faible, je ne parviens pas à décerner qui pleure, qui parle ni de quoi ils parlent.
Je suis désormais devant la porte. Ma main gauche se pose doucement sur la paroi de la porte, ma main droite sur la petite poignée froide.
J'écoute. Les voix se sont tues. Les pleurs semblent eux aussi avoir cessés. Je ne l'ouvre toujours pas, je ne le peux pas. Je ne décide pas de cela. Mon corps ne réagit pas aux ordres que je lui donne, il est toujours animé et guidé par des forces contre lesquelles je ne peux lutter.
Après quelques instants immobile, le moment fatidique arrive enfin : je vais savoir ce qu'il se passe au-delà de cette porte. Mon poignet tourne, ma main maintient fermement la poignée de la porte. Puis, lentement, celle-ci se place verticalement. Ma main droite la lâche, la porte s'est légèrement ouverte. Mes deux mains se placent sur la porte. Elles la poussent délicatement après un moment d'hésitation... Je remarque que je n'ai pas mon sceptre de mage. Je ne pourrai me défendre aussi bien que lorsque je l'ai avec moi.
La porte s'ouvre lentement. Une faible lueur émise par un chandelier éclaire l'endroit. La porte n'est pas entièrement ouverte. Je ne vois pas ce qu'il se cache derrière.
Les pleurs reprennent de plus belle, comme une plainte sourde. De nouveau des voix. Je ne comprends toujours pas ce que les voix disent. C'est comme si je devenais sourd.
Mon regard se pose sur le sol. Je ne vois pas autre chose que mes pieds, reflétés par la lumière orangée émise par les chandeliers.
La porte est ouverte.
Mon regard se lève.
Je reste figé sur place, incapable de penser correctement, de bouger et de parler. Je reste comme inanimé mais debout face à ce que je vois, là, devant moi, à l'autre bout de la pièce...
Quatres elfes se tiennent là, à genoux et debout, l'un est même à terre, il ne bouge plus. Ils pleurent, ou plutôt ils implorent, gémissent. Leurs vêtements sont très sales, tâchés, troués. À l'évidence ce sont des esclaves.
Voilà pourquoi je déteste en partie cette patrie qui m'a vue naître de parents ne souhaitant que la perfection magique et physique. Malheureusement pour eux, je ne suis pas né parfait.
Sur la gauche des esclaves elfes, deux hommes. Enfin, un homme et... Ça.
Ça, c'est un grand elfe à la carrure d'un homme guerrier, de longs cheveux cendrés, une peau brune claire, des muscles saillants et puissants.
Mais surtout, ça.
Sur tout le flanc gauche, du menton jusqu'au bas du dos, en passant par l'intégralité du bras gauche, des marques d'un rouge luisant, brillant dans la pénombre. Du Lyrium rouge, c'est certain.
Le dos et les bras du grand elfe sont criblés de blessures : coupures, brûlures, marques de fouet... Certaines plaies semblent être fraîchement ouvertes et du sang d'un rouge anormalement clair s'en écoule, sûrement à cause du Lyrium se trouvant dans son corps. 
Il me tourne le dos. L'autre homme lui fait face, je peux voir son visage. À l'évidence, il est terrifié. Cet homme semble être quelqu'un d'influent à en juger ses vêtements. C'est sûrement lui le maître des lieux, mais dans la situation dans laquelle il se trouve, c'est l'elfe qui est le maître. Je ne connais pas cet homme ni aucune autre personne présente dans la pièce. J'aimerais partir, je n'ai rien à faire ici, je suis un intrus. Mais les forces obscures guidant mon corps en ont décidées autrement, je dois resté là, impuissant, à observer la scène.
L'elfe et l'homme semblent figés, l'expression de terreur que je vois ne change pas. Il ne cligne pas des yeux. L'elfe ne bouge pas d'un pouce non plus. Seuls les esclaves semblent animés de leurs plaintes morbides...
Et puis, un coup de tonnerre résonne dehors. Je sursaute, mon pouls s'accélère.
Les deux hommes commencent à s'animer, l'homme effrayé baragouine des mots, mais comme précédemment, je ne comprends pas ce qu'il dit.
L'elfe quand à lui serre son poing droit et envoie un puissant coup dans le visage du noble, qui s'étale à terre. Les gémissements des autres elfes s'accentuent, ils deviennent encore plus désagréable et de moins en moins rassurants. L'homme se retrouve soulevé brutalement pour être plaqué contre le mur où il était initialement. À un détail près : il ne touche plus le sol. L'elfe l'a soulevé d'un seul bras, le gauche, avec une force surhumaine, surtout pour un elfe. Je reste bouche bée face à cela. Il tient le noble à la gorge. Ce dernier remue ses jambes et ses bras, impuissant. L'efle sort une dague, qu'il plante avec force dans chacune des épaules de l'homme, coupant ainsi ses muscles. Il hurle de douleur. Le cri strident est atroce, me donnant froid dans le dos et accentuant ce malaise naissant, cette peur grandissante en moi. L'homme halète difficilement. Une voix obscure retentit, l'elfe s'adresse à l'homme :
“Ce n'est pas finit. Tu vas souffrir autant que tu m'as fait souffrir...”
Sa voix semble sortir des tréfonds de l'enfer, son ton est menaçant. L'homme gémit de la même manière que les esclaves, ce qui me procure un mal de tête et renforce mon envie de disparaître d'ici. Il implore l'elfe d'arrêter cela et lâche quelques larmes. Tel est la réaction de quelqu'un qui sait que la mort est proche et qui ne veut pas l'accepter. Les plaintes sont insupportables, elles résonnent dans ma tête, je n'en peux plus. Mais je ne peux toujours rien faire.
Les secondes passent... Et puis, c'est la fin. Une mort d'une violence que je n'avais jamais vu, mon cœur cesse de battre un instant et je manque de tomber à genoux sur le sol.
Les marques de Lyrium sur la peau de l'elfe se mettent à briller un peu plus qu'avant. L'homme hurle. Je vois toute la scène et cela est horrible. Personne ne mérite une telle mort.
L'elfe broie le coup du noble. Du sang se met à couler des yeux, du nez et de la bouche de ce dernier. Quelques instants suffisent pour entendre ses os craquer et se briser sous la poigne féroce de l'elfe. L'homme n'est toujours pas mort. Il agonise, il veut être achevé. Mais l'elfe en a décidé autrement. Je manque de recracher mon souper.
Il le soulève plus haut, à bout de bras. Le noble n'est pas mort. Il souffre terriblement. Et puis, c'est la fin. La tête se détache du corps, ne supportant plus la pression faite sur ce coup déjà brisé. Le corps tombe comme une loque sur le sol, dans une flaque de sang et dans un bruit immonde.
L'elfe tient la tête de l'homme ensanglantée, toujours à bout de bras. Cette vision me mets réellement mal à l'aise, j'ai l'impression qu'à tout moment mes tripes vont s'échapper de mon corps. Il ouvre la paume de sa main et l'écarte légèrement. Le crâne tombe au sol accompagné d'un bruit horrible, j'en frissonne et mon corps se crispe. Elle roule aux pieds de l'elfe. Ce dernier lève sa jambe et l'écrase avec son pied mettant tout son poids dans cet ultime coup, même s'il est déjà mort. Le crâne explose sous le poids et sous la pression exercée par ce coup. Du sang est projeté partout, je suis obligé de m'appuyer contre un mur pour ne pas tomber.
Un nouveau coup de tonnerre rententit. Les serviteurs ne se plaignent plus, ils sont tous mystérieusement tombés à terre, comme s'ils venaient tous de mourir spontanément.
Les seuls encore debout dans la pièce sont l'elfe et moi. Sans que je sache trop pourquoi ni comment, je me met à crier un prénom. À ce moment, un nouveau coup de tonnerre. Je ne sais pas quel prénom est sorti de ma bouche. Mais visiblement, c'était le sien. Et il l'a entendu. Ma peur s'accentue.
Lentement, sa tête pivote.. Lentement, je vois un visage rempli de haine me regarder.
Mon sang se glace.
Mes poings se serrent.
Je ne peux ni fuir ni détacher mon regard de lui. J'ai terriblement peur, je ne veux pas mourir ainsi.
Il baisse la tête, regardant une dernière fois le corps sans vie du noble. Puis il la relève.
Il me fait face.
Son visage est déformé par la haine. Ses yeux plissés par la colère réclament vengeance. Ils ont la même couleur que le Lyrium sur son corps, dont la lueur rouge à encore augmentée. Son sourire n'existe même pas. La seule expression sur son visage c'est cette rage grandissante.
Je le vois dans son regard, il veut encore se venger. Cela ne lui suffit pas. Il doit encore tuer, il doit assouvir ce besoin d'ôter la vie de personnes innocentes. Il pivote intégralement dans ma direction. De nombreuses blessures sont visible sur son torse, ainsi qu'énormément de sang, le sien, mais principalement celui de ce pauvre homme. Je ressens la douleur qu'il doit éprouver physiquement à cause de tout cela. Physiquement, mais aussi psychologiquement. Peu tiendraient le coup.
Il me regarde.
Je ne le quitte pas du regard et lui non plus. Ce regard perçant me fait reculer d'un pas.
Je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie. Ce n'est plus un humain. C'est un démon de la colère sous forme humaine.
Il disparaît soudainement de mon champ de vision. Je suis comme paralysé, incapable de faire le moindre mouvement.  Et puis, il est là.
À quelques centimètres de moi.
Il me fait face, le regard rempli de haine. Il va me tuer, c'est sûr.
Il se jette sur moi, sa dague prête à m'égorger sans scrupule. Je lâche un cri d'effroi. Et puis...

Je me réveille en sursaut, des sueurs froides dans le dos, des frissons me parcourant le corps...
Jamais je n'avais fait de tel cauchemar... Mais, tout cela m'a semblé si réel.
Qui était-ce ? Où étais-je ?
Je n'obtiendrai probablement jamais de réponses. Après tout, ce n'était qu'un rêve, rien de plus qu'un simple cauchemar.

~ .Le Sang du Lyrium. ~Où les histoires vivent. Découvrez maintenant