Le feu d'Ahéra

Chapitre 1

Tic.

Tac.

Tic.

Tac.

Pour certains, une minute passe en un éclair. Pour d'autres, une seconde semble durer toute une éternité. Pourtant, aux yeux de Jane Rikers, un tel concept n'existait pas. Du moins, il n'existait plus. Ici, à l'Institut psychiatrique de Fallacie, le temps ne représentait rien. Peut-être Jane y avait-elle résider pour une semaine. Ou pour une année. Elle n'en savait rien.

Ce dont elle était certaine, cependant, était que la salle où elle se trouvait présentement n'avait point changé depuis sa première visite. Les mêmes rideaux aux motifs floraux ternis par le temps tentaient d'enjoliver les macabres fenêtres à barreaux. Le mobilier de chêne noir était identique à celui qui devait se trouver à cet endroit il y avait des décennies de cela. Le vieux docteur était toujours assis dans son fauteuil rembourré, à gribouillé des observations et à murmurer des phrases inintelligibles pour lui-même.

Le docteur Grenhouse. Psychiatre de renom, spécialisé dans la psychologie adolescente. Adepte des barres de caramel mou. Professionnel dans les questions sans but, si l'on demandait l'avis de sa principale patiente.

Justement, cette dernière semblait beaucoup plus appliquée à compter les lignes du plancher qu'à écouter les questionnements du docteur. Pas que cela différait réellement de l'ordinaire.

-Jane, répétait-il d'une voix qu'il voulu dénuer d'impatience. Peux-tu te concentrer s'il te plaît ?

La jeune fille leva finalement les yeux vers le vieil homme. L'air découragé de ce dernier la fit culpabiliser quelque peu. Il n'était pas dans son intention de se montrer désagréable. Elle aimait bien le docteur Grenhouse. Du moins, lorsqu'il ne s'entêtait pas à lui parler de ses "hallucinations". Mais il était tellement difficile de se montrer sympathique et docile, alors qu'on s'efforçait de traiter chez elle une maladie qu'elle n'avait même pas.

Psychotique. Le mot lui semblait encore si étranger, si loin de sa réalité qu'elle trouvait presque drôle qu'on est pu la diagnostiqué de la sorte.

- Serait-il possible que, pour une fois, poursuivit le docteur, tu te concentres un peu? Nous sommes sur le point de faire une percée, je le sens.

Jane en doutait, mais choisit de montrer un peu de bonne volonté.De toute façon, plus elle résistait et plus la séance serait longue. Elle replaça la mèche brune qui lui obstruait la vue derrière son oreille, signe que le psychiatre interpréta comme un signal d'écoute.

- Hier, nous avons discuté de ton passé, de la mort de Vivianne.

L'adolescente se raidit instantanément à ces mots. Vivianne. Un autre sujet interdit, tabou. Le visage innocent de la petite fille flotta quelque secondes devant ses yeux, avant qu'elle ne les ferme prestement pour la chasser. Il y avait certaine blessures que même le temps ne pouvait guérir.

- J'ai l'impression, et dit le moi j'y je suis dans l'erreur, que cela t'a libéré d'un certain poids.

La principale intéressée n'était pas prête à en dire autant. Toutefois, il était vrai que d'en parler, pour la première fois depuis cette nuit-là, avait changé quelque chose en elle. Cela l'avait fait se sentir encore plus coupable.

Le docteur repoussa sa monture rectangulaire sur son nez proéminent tout en ouvrant un cahier spiralé pour prendre des notes. Il dégagea un crayon de derrière son oreille, puis le porta au papier pour y griffonner quelques mots.

- Je pense qu'il est donc temps d'aborder tes hallucinations, termina-t-il, en se penchant vers l'avant pour indiquer qu'il était toute ouïe.

La jeune femme eu l'irrépressible envie de lui éclater de rire en plein visage. Il n'y avait pourtant rien de drôle à propos du sujet que Grenhouse souhaitait aborder. Il était même macabre. Jane ne parlait jamais de sa malédiction à la légère, et tentait de la garder secrète le plus possible. En fait, la seule fois où elle en avait ouvertement parlé était lors de son procès. Cela avait été le seul moyen d'éviter la prison.