Prologue

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Arden Rosenbach était âgé de vingt-deux ans. Il aurait pu être indépendant, suivre des études, ou même travailler. Il aurait pu avoir une copine, des amis, une vie sociale. Mais il était le fils de Jasper et Loana Rosenbach. Atteint d'un trouble dissociatif de la personnalité, à échelle trop minime pour qu'il soit interné ou suivi régulièrement, son père avait fait de lui un homme renfermé et torturé. Depuis que le diagnostic posé, chaque jour fut un véritable enfer. Les parents d'Arden étaient riches et très bien vu en ville. Jasper était un chirurgien respectable et renommé et Loana une journaliste de talent qui voyageait souvent. Ils avaient donc une grande influence et une réputation à préserver. Aussi, l'existence de leur fils fut gardé secrète dans le manoir. Seuls les parents et le personnel était au courant et on ne parlait jamais de l'enfant en dehors de la demeure Rosenbach.
Pendant six ans tout le monde sut que Jasper et Loana avait un fils, dont ils étaient très fiers. Mais lorsqu'Arden a déclaré sa maladie sa « mort » a été annoncée trois jours plus tard. Les parents avaient été plaint, on les couvrait de présents et de reconnaissance pour la triste perte de leur premier enfant.
Dès lors, la descente aux Enfers commença. Arden n'était plus autorisé à sortir de sa chambre aux fenêtres condamnées. Il n'allait plus à l'école, seule la gouvernante du manoir qui avait eu pitié lui offrait quelques enseignements. Il ne mangeait que les restes de ses parents et parfois la moitié du repas qu'Hanna, la gouvernante, partageait avec lui. Il n'était pas fermé à clé dans sa chambre, mais s'il avait le malheur de mettre un pied dans le couloir son père sévissait. Le garçon avait une peur terrible de cet homme. Dès qu'il le voyait entrer dans sa chambre ses yeux se baissaient et il se mettait à trembler, résolu à recevoir le coup qui allait tomber.

Les années passaient et Arden avait grandi dans cette atmosphère lourde d'angoisse et d'effroi. Plus le temps s'écoulait, moins il s'exprimait. Il s'enfermait dans les livres qu'Hanna lui apportait. L'horloge de sa chambre ne fonctionnait plus et comme il ne voyait pas le jour il perdait progressivement la notion du temps. Il lisait la nuit, dormait seulement lorsque la fatigue se faisait douloureuse et avait perdu tout rythme normal. Peu à peu, la vie dans ses yeux disparaissait. Il mangeait très peu, ne touchait presque plus aux restes qu'on lui laissait, ni au repas de sa gouvernante. Hanna parvenait encore parfois à le faire sourire mais cela devenait de plus en plus rare. Il lui parlait de moins en moins, même à elle, il l'écoutait seulement et cela déchirait le cœur de la vieille femme. Aussi, un soir où elle ne supporta plus ces conditions, alors qu'elle n'avait plus rien à perdre, elle décida de prendre les choses en main. Si elle n'avait rien fait jusque-là c'était à cause des menaces qui pesaient sur ses proches, mais Hanna n'avait plus de famille et peu d'amis, cet enfant était ce qui lui était le plus cher et elle voulait le voir heureux. Ce soir-là Arden fut sorti de sa lecture par des éclats de voix. La gouvernante s'en prenait directement aux parents du petit pour tenter de le secourir. L'enfant ne comprenait pas tout, mais il saisit avec horreur qu'il ne reverrait sans doute plus jamais Hanna. Il avait vu juste : le lendemain, le surlendemain et tous les jours qui suivirent furent lourd de l'absence de la gouvernante. Plusieurs semaines plus tard, le père d'Arden entra dans sa chambre, escorté d'un homme d'entretien. Il lui ordonna de prendre tous les livres d'Hanna et de les brûler. Jasper était sourd aux supplications de son fils qui s'exprimait vivement pour une fois, cherchant à garder tout ce qui lui restait de la gouvernante. Lorsque l'enfant lui demanda en pleurs où était Hanna, le père avait esquissé un sourire qu'Arden n'oublierait jamais et lui avait répondu : « Elle est morte et c'est ta faute. » Depuis ce jour, Arden ne fit plus jamais entendre le son de sa voix. A dix ans, il venait de perdre la seule personne qui l'avait aimé comme une mère.

Les années avaient continué à s'égrener et Arden grandissait. D'enfant, il devint adolescent. Après la mort d'Hanna, les crises de sa maladie étaient revenues et devenaient plus nombreuses et violentes. Bien sûr, il n'était pas une option de le faire suivre par un professionnel. Arden restait une erreur aux yeux de ses parents qui ne souhaitaient pas qu'on soit au courant de son existence. Ils géraient donc cette maladie à leur façon. Jasper agissait avec violence et s'était mis à boire en apprenant que sa femme le trompait lors de ses voyages. Il se mit à la battre comme il battait son fils et lui interdit de sortir de la maison à son tour. Arden entendait souvent les sanglots de sa mère mais cela ne provoquait plus aucune émotion en lui. Elle était autant responsable de sa situation que son père.
Le temps avançait, Arden devenait un homme mais il ne changeait que physiquement. Il était désormais plus grand que son père et avait pris de lui ses yeux gris insondables. Il avait les cheveux d'ébène de sa mère, trop longs de ne plus avoir été coupés depuis la mort d'Hanna. Il en allait de même de la barbe sombre qui courrait sur sa mâchoire. Sa peau était blanche de ne jamais voir le soleil ni les saisons qui passaient. Il était maigre et ses os ressortaient. Cela se voyait à son visage, ses joues creusées et ses vêtements qui flottaient autour de lui. Arden s'était longtemps haïs, puis il avait appris à ne plus rien ressentir. Ni haine, ni dégoût, ni tristesse, seule son autre part de lui accumulait toutes ces émotions négatives, ce qui le rendait plus dangereux encore à chaque crise, souvent déclenchées lors des colères de son père.
Évidemment, il avait tenté à plusieurs reprises de se rebeller. Mais son père était très prévoyant et Arden en portait les cicatrices.

ArdenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant