En vous inspirant du tableau ci-dessus, rédigez une courte nouvelle de genre réaliste.
Le tableau est en média. Gustave Caillebotte, Le Pont de l'Europe (1876), Musée des beaux-arts de Rennes.
Le fleuve scintillait. C'était une belle journée, un ciel dégagé : une atmosphère paisible d'un jour de repos qui planait sur Paris. Un semblant d'agitation régnait tout de même : les cris lointoins des cochers furieux, quelques étudiants qui finissaient (ou commençaient) leur nuit, dans une petite brasserie sur la rive gauche. On était en fin de matinée, l'heure où les restaurateurs ouvrent leurs portes, et où les clients affamés remplacent les habitués matinaux.
Il se sentait bien, lui, là, la tête appuyée sur son avant-bras, accoudé au pont. C'était un peu son pont, il venait là souvent les beaux dimanches comme ce jour-là, ou bien à la fin de ses journées d'étudiant, quand il n'avait de toute façon rien à manger. Vêtu de sa légère veste achetée d'occasion, qu'il mettait quel que soit le temps qu'il faisait, il venait ici, toujours, comme attiré par les larges croisillons de fer et les énormes vis. Il pouvait rester des heures dans ses pensées, sans même sentir d'autres émotions que celles qu'il vivait dans sa tête. Il regardait les légers remous de la Seine grisâtre, les vaguelettes qui allaient s'échouer sur les bords sableux des deux rives.
Mais surtout, il l'attendait lui. Le train. Le grand, le seul, l'unique. Il frissonait de plaisir en sentant sous ses pieds les vibrations de la machine à vapeur. Ceux qui faisaient le plus de bruit étaient les trains de marchandises, avec des wagons cylindriques et des numéros comme marqués au fer. Il écoutait avec délice le roulis régulier mais agressif du train qui passait à toute vitesse sur les rails.
Oui, il aimait beaucoup ce pont, et pour plusieurs raisons. D'abord, parce que Gustave était étudiant en architecture urbaine, alors s'il n'avait pas aimé les ponts, il aurait peut-être dû y réfléchir à deux fois avant de sacrifier toutes ses économies pour entrer dans cette école d'architecture. Il aimait ce pont parce qu'il l'avait vu avant la fin de sa construction, et il avait été époustouflé de voir ce que les humains, les minuscules humains, pouvaient faire à la force de leurs bras. Un chantier considérable, ce pont. Il semblait avoir été bâti par des Hécatonchires, ces fameuses créatures mythologiques aux cent bras qui, du haut d'une colline, avaient battu les Titans aux côtés de Zeus avant que celui-ci ne devienne dieu des dieux, en jetant d'énormes cailloux, pierres, roches sur la fratrie des Titans jusqu'à ce qu'ils se rendent.
Oui, des Hécatonchires, c'est bien cela qu'il aurait fallu. Mais non : des humains, à la sueur de leur front, avaient érigé ce pont durant son enfance. Et aujourd'hui, sur la rambarde de fer, Gustave était encore émerveillé par une telle prouesse. Il l'aimait vraiment bien, ce pont, à cause de son nom. Le pont de l'Europe. C'était majestueux. Paris, capitale de l'Europe, capitale de l'industrie, de l'innovation technologique. Enfin, il aimait ce pont parce que c'était un pont ferroviaire, et que les trains le fascinaient autant que les ponts, et que les grandes usines, les grandes forges, les grandes mines, les hauts immeubles hausmanniens, les larges paquebots. Tout ce qui était grand, métallique, solide, tout ce qui faisait la fameuse Révolution Industrielle. Un grain noir animait tout un pays. Le charbon.
Lui aussi, il rêvait d'être acteur de ce changement. Il voulait voir son nom célèbre, connu, il voulait être architecte, inventeur, il voulait marquer Paris, il voulait marquer l'Histoire. Il n'avait que des idées, il bouillonnait, griffonnait sur des carnis, esquissait des croquis. Mais il n'était qu'étudiant, sans le sou et sans crédibilité. Parfois, il était tellement enfiévré, emporté dans un tourbillon d'idées, qu'il marchait frénétiquement et marmonnait un charabia incompréhensible, jusqu'à trouver une vieille feuille de papier et un crayon où noter l'idée qu'il lui venait à l'esprit. Les gens le prenaient pour quelqu'un de dérangé quand ils le voyaient dans un tel état d'excitation.
Mais il s'en moquait. Il avait besoin d'idées. Son école d'architecture avait été sélectionnée, avec plusieurs autres établissements parisiens, par la municipalité, afin de proposer des chantiers pour l'Exposition Universelle que voulait accueillir Paris dans quelques années. L'école jouait sa réputation, et c'était une chance inouïe pour les étudiants, plongés au coeur de leur futur métier. C'était là pour Gustave peut-être sa chance. Il n'osait même pas croire à la possibilité d'être choisi. Mais il avait travaillé. Pendant des heures, des jours même, des nuits entières, pour étudier la faisabilité de son projet, dont il n'avait parlé à personne, de peur d'être moqué. De toute façon, à quoi bon ? Son idée, il l'avait étudiée, et malgré l'énergie du désespoir, il avait été obligé de se rendre à l'évidence : son projet était démesurément grand et irréalisable. Il le savait donc voué à l'échec, mais dans un ultime sursaut d'espoir, il l'avait remis au jury chargé de choisir les projets pour la ville de Paris. Cela l'attristait, voire le mettait dans une rage furieuse de voir qu'il avait laissé passer sa chance.
Pourtant, il était de nature calme. Il préférait observer, réfléchir ou inventer plutôt que de réaliser vraiment. Il s'asseyait, réfléchissait. Il pensait à tout ce qu'il voulait faire, tous les monuments qu'il voulait réaliser. Il ferait construire des ponts, des bâtiments, des trains. Puis, l'instant d'après, il se décourageait, ses désillusions l'assaillaient toutes en même temps. Il enviait les gens ambitieux et sûrs d'eux qui réussissaient ce qu'ils entreprenaient. Les grands architectes, qui avaient des dizaines d'ouvriers pour construire ce qu'ils leur ordonnait. Lui, il n'aurait jamais tout ça. Il désespérait. Il ne savait pas encore qu'il s'appelait Gustave Eiffel.
FIN.
nda : Alors, qu'en pensez-vous ? J'ai eu ce sujet en classe de seconde, et j'étais plutôt inspirée. Que pensez-vous de la fin ? N'hésitez pas à donner votre avis en commentaires, ou à voter si vous avez apprécié ! J'ai obtenu 18/20. Juste pour l'anecdote, dans ma rédac que j'ai rendu, au lieu de mettre Gustave Eiffel, j'avais mis Eugène xD Mon prof s'est foutu de ma gueule en me rendant ma copie xD Y'a plus de respect de nos jours ! Et bonne rentrée à tous les élèves !
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RandomTout est dit dans le titre je crois ! N'hésitez pas à me proposer des thèmes, des idées... La note est en interrogation, à vous de juger !