Chapitre 1

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La pluie tombait à grands flots sur les carrosseries des voitures dans un son redondant qui, à chaque retentissement, devenait de plus en plus fort dans les oreilles du jeune homme. Il se leva et tourna la clef dans la porte dans un long soupir. C'était toujours la même chose. Fermer son bureau à clef, partir, rentrer à la maison. La même routine, les mêmes habitudes, qu'il ne supportait plus, qui le troublaient la nuit lorsque, dans son lit, il pensait à tous les "si".

Dan réalisait qu'à bientôt 40 ans, il n'avait eu aucune emprise sur sa vie. Du moins, aucun plaisir. Certes il avait choisi de poursuivre des études de commerce afin de créer sa propre petite entreprise, mais avait-il fait le bon choix ? Sous la pression du marché de travail sa petite société était rapidement tombée en faillite, et, sa femme attendant son premier enfant, il avait dû tout laisser tomber pour avoir une chance de nourrir sa petite famille. Il avait donc trouvé un emploi confortable dans un petit supermarché de sa ville, qui lui laissait des horaires formidables lui permettant de profiter de sa vie de trentenaire. Malgré tout, cette vie n'était pas celle qu'il voulait, et même en prenant le temps, pas à pas, il n'arrivait pas à se débarrasser de ce sentiment de vide qui emplissait son coeur d'un malheur infini et se creusait encore plus lorsqu'il apercevait le sourire forcé de sa femme.

En conduisant sa modeste voiture, se dirigeant vers l'école municipale, son corps se mit d'un coup à trembler d'une excitation envahissante, faisant s'hérisser sur sa la peau de son bras chaque poil dans un frisson d'impatience. Et si c'était aujourd'hui, le changement ? Et si il s'enfuyait, et si il partait pour toujours à l'étranger et refaisait sa vie ? Mais son fils l'attendrait à l'école indéfiniment, sa femme viendrait finalement le chercher et l'amènerait à la maison, ils mangeraient la soupe quotidienne du soir accompagnée de nuggets de poulet, tout en attendant, anxieux, son retour. Le petit pleurerait sûrement à s'en rendre malade, sa femme lui crierait d'arrêter sous le coup de la peur, et tous deux établiraient des hypothèses rocambolesques pour expliquer ce départ si soudain. Boulot, famille proche, adultère, aliens. Il voyait déjà sa femme arriver en larmes dans le commissariat, suppliant les policiers de retrouver son mari enlevé par la mafia martienne en voyage d'affaires sur la Terre. Cette pensée le fit légèrement sourire, découvrant des fossettes au creux de sa barbe. "Avec des si on refait le monde" se dit-il, abandonnant tous ses projets de fugue. Il irait ramener Louis à la maison, préparerait son goûter et s'installerait confortablement dans le sofa. Adieu soleil, bananiers et femmes exotiques moulées dans leurs maillot de bains.

Après avoir pris Louis qui sortait de son cours de flûte, il arriva chez lui, une petite maison de ville, tout ce qu'il y a de plus simple. Un petit portillon vert poubelle s'ouvrait sur une cour gravillonneuse, au milieu de laquelle se traçait un chemin de béton dirigeant le visiteur vers l'entrée de la maison. Devant la porte, il y avait la boîte aux lettres, elle aussi verte poubelle. Dan ne supportait plus cette couleur et essayait de s'en éloigner au maximum, mais elle revenait toujours, partout autour de lui. "Mon cercueil sera vert poubelle également, j'imagine ?!" pensa-t-il tandis qu'il ouvrait la fameuse boîte aux lettres, attrapant au vol le courrier.
Facture de gaz, d'électricité, de cantine pour Louis. La perspective de perdre l'argent qu'il avait durement gagné au prix d'un ennui horrible durant la journée le déprimait terriblement, et il aurait aimé pouvoir brûler chacune de ces enveloppes et leur contenu, les voir s'affaisser dans un tas de cendres et sentir le papier suffoquer dans la fumée grise typique du petit feu de jardin. Mais il ne pouvait pas, il fallait payer, tout le temps payer.
Mais n'y avait-il pas là une lettre, une seule, qui ne possédait pas le logo typique de la banque ? Elle avait attiré subitement son attention. "Enfin quelque chose d'inattendu". Il glissa ses doigts doucement sur la bordure de l'enveloppe, soupirant d'un bonheur inouï, son corps totalement enseveli dans une excitation, une impatience véritablement orgasmique. Il ouvrait l'enveloppe, caressait la colle qui retenait le mystère, puis retirait finalement le principal sujet de la lettre, écrit sur une feuille pliée en quatre.
Il parcourut des yeux cette lettre et son coeur parut s'émietter. Il ne pouvait, ne voulait pas le croire. Il laissa tomber sa malette sur le sol, attrapa ses lunettes pour pouvoir relire, vérifier si c'était vrai. Il relit les mots encore et encore, sous le choc.
"Cher Dan Minster, j'ai le plaisir de vous annoncer que, le 29 Mai 2019, vous quitterez ce monde. Autant ne pas faire de chichis, vous allez crever. Disparu, le petit Danny tout dépressif, j'imagine que vous l'attendez aussi. Et je peux vous dire que ça va pas faire de grande peine à tout le monde. Celui qui vous suicidera est autour de vous, ouvrez vos yeux. Alors qui, comment, où ? La mort est un si grand mystère, n'est-il pas ? Tout est noir, sombre, froid et inconnu. Odeur de cadavre et de bois. Mais on y passe tous un jour, même moi. Sauf que moi, ça sera pas dans 5 mois. "

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