À visage découvert

Chapitre 2

Il pénétra à l'intérieur de la sombre pièce, qu'il ne daigna point allumer tant il était bouleversé par ce qu'il venait d'apprendre. Il avait envie de rire à plein cœur puis de jeter cette insifignante lettre, et s'adonner à sa routine qu'il avait cru, pendant un court instant, définitivement abrogée. La déception de cette mauvaise blague avait parcouru tout son corps d'un frisson inconnu, qui lui rapella aussitôt à sa terrible condition. Il voulait juste partir, tout laisser tomber, aller loin.
Le contenu de cette précieuse lettre aurait pu tout changer. Il aurait pu gagner des millions d'euros et s'enfuir, dans son jet privé, dans des contrées inconnues qu'aucun humain n'aurait auparavant foulé. Peut-être cela aurait pu être une admiratrice secrète, dont l'amour pour lui brûlait tellement son cœur qu'elle lui aurait envoyé une lettre enflammée.
Il y avait bien Éléonore, cette jeune secrétaire au travail, qui le fixait sans un mot à chaque fois qu'il rentrait dans le hall d'entrée. Ses yeux en amande le pénétrait tout au fond de son être, son cœur battait si vite qu'il voulait suffoquer. Il aurait voulu s'approcher d'elle, l'empoigner, lui crier à plein poumons son amour et effleurer les courbes délicates de son corps dans une douce osmose. Mais il pensait à Margaret, à Louis, et aux conséquences. "Si seulement" se disait-il, s'accrochant au si, faisant siffler entre ses lèvres ce mot qui entame la plupart de ses pensées.

Mais rien de tout cela, oh non. Juste une petite boutade d'un gamin du quartier, sûrement pour jouer les gangsters auprès des plus grands. Il était ravi que Louis, enfant calme et posé, passionné par les mathématiques et l'histoire, ne fasse pas partie de cette bandes de petits gosses qui se prennent pour ce qu'ils ne sont pas. De toute façon, son fils aurait besoin d'un BMX pour intégrer le groupe, et en tant que père trop protecteur, il ne voyait pas son petit garçon sur un aussi grand vélo, effectuant d'épouvantes figures.

Mais quelque chose n'allait pas, et il le sentait. Quelque chose qui faisait de cette lettre troublante un contraste par rapport aux petits canulars des enfants du voisinage. Cette lettre était sérieuse, et il le pressentait. Et dans sa tête tournait la présumée date de sa mort, 29 Mai 2019. Vingt-neuf Mai deux mille dix neuf. Un jour avant l'anniversaire de son fils. Il aurait eu 8 ans, et il lui aurait sûrement acheté un kit de sciences pour enfant, car son petit se pâmait devant à chaque séance de courses, hurlant, pleurant à la mort dans le magasin, laissant sur les clients des regards embarassés et apitoyés. Louis était un enfant relativement calme et respectueux, mais également déterminé. Lorsqu'il voulait quelque chose, il ne lâchait jamais l'idée, tel un chien mordillant son jouet pendant des heures dans l'espoir d'apitoyer quelqu'un qui voudrait jouer avec lui.
Mais il ne lui achèterait jamais, car de toute évidence il ne le célèbrera pas avec lui. Il était, d'un coup, empli de tristesse. Certes l'amour pour sa femme commençait à disparaître, mais il ne pouvait pas nier le fait qu'elle était très bonne cuisinière, et que son gâteau d'anniversaire chantilly-poire-chocolat était un délice. Mais il ne pourrait plus jamais le manger.
Il ne verra jamais son fils sortir de la faculté de médecine, son stéthoscope autour de sa nuque. Il ne le verra jamais se marier, il ne pourra jamais apprendre à ses petits enfants le peu qu'il connaît, assis dans son vieux fauteuil de cuir. Va, vu le peu qu'il aurait pu leur apporté, ce ne sera pas une grande perte. Mais le mystère de la vie, la continuité de sa routine, il voulait le découvrir. S'effondrant sur la table devant un verre d'eau, il avait pris une grande décision.

Je le retrouverai. Qui que ce soit, je le retrouverai. La justice paie toujours. Pour mon fils, pour ma vie, pour le futur, je sauverai ma peau. Et cette fois-ci, je le jure, il n'y aura pas de si.