La Grignoteuse

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Je pensais ne courir aucun danger la fois où je l'ai vu escalader le grillage du jardin. Et puis, il y a eu la rencontre, l'enquête, les rumeurs, ma conclusion, ma fille et la nouvelle vision de la vieille dame dans mon jardin. Au moindre grattement derrière les murs, au moindre craquement du plafond, je sursaute et je frissonne de la tête aux pieds. J'ai tellement peur pour ma fille, tellement...

J'avais neuf ans à l'époque de ces faits terrifiants. Avec mes parents et mon frère, j'habitais une grande maison dans la banlieue toulousaine. Il y avait d'autres pavillons autour du nôtre, notamment celui de la veuve de l'ancien maire du village. C'était une femme très laide, mais très gentille. Elle ressemblait au cliché qu'on se fait tous d'une vieille sorcière, c'est-à-dire un gros poireau noir au bout de son nez crochu, un menton en galoche, des petits yeux perçants, de longs cheveux grisâtres entourés d'un châle sombre et d'une robe grise avec des grands escarpins à boucles. Ah oui, j'allais oublier ses mains terriblement longues et osseuses, aussi grandes qu'un avant-bras. À contrario de son physique, le caractère de cette vieille dame était vraiment sympa et par les trous du grillage qui séparait nos deux jardins, elle nous filait des bonbecs avec des emballages multicolores. C'est sûr, on n'aimait pas trop ses mains mais l'amour des bonbons était bien plus fort que nos appréhensions.

Nous, c'est moi et mon frère aîné Philippe. Il n'a jamais été témoin de ce que j'ai vu, mais lui aussi entendait des grattements derrière les murs de sa chambre et la porte de son placard. Après avoir lourdement insisté, mon père a fini par poser des tapettes à souris dans divers endroits de la maison. Il ne se passait pas une nuit sans qu'une de ces petites bestioles ne se brise la nuque sous la fine barre de fer. Le lendemain matin, mon père s'arrangeait pour nous épargner la vue de leurs cadavres. Une fois, je l'ai entendu pousser un juron pas très loin de ma porte. Par le trou de la serrure, je l'ai vu partir vers la cuisine et j'en ai profité pour sortir de ma chambre. Mauvaise idée.

Il y avait une tapette dans un angle du couloir. La souris piégée avait été dévorée, son corps était éparpillé sur le carrelage : les griffes étaient arrachées des pattes, des morceaux de chair et des entrailles gisaient autour de la tapette. Il y avait aussi des petits os cassés et grignotés. J'ai eu le temps de regagner ma chambre avant que mon père ne revienne. On n'avait pas de chat et je me demandais bien quel animal pouvait avoir fait ça. J'ai eu des nausées plusieurs jours après cette horrible découverte.

Malgré les nombreux pièges, les grattements n'ont pas cessé. Parfois, dans la nuit, j'entendais les tapettes à souris claquer, c'était effrayant. À cause des cadavres déchiquetés, mon père a fini par appeler un dératiseur. Le technicien est venu poser des boîtes rectangulaires avec du poison bleu à l'intérieur. Cela a été très efficace, les souris ont déserté la maison et les grattements ont presque tous cessé. Je dis bien presque car parfois la nuit, j'entendais toujours un léger grattement sous la fenêtre de ma chambre.

Contrairement à celle de mon frangin, ma fenêtre donnait sur le grillage de la veuve du maire. Une fin d'après-midi, alors que je fermais mes volets, j'ai vu une masse noire monter rapidement ce grillage et redescendre de mon côté. C'était bien trop gros pour être un chat, quoique sur le moment, j'ai espéré avoir vu un animal. J'ai aussitôt alerté la famille, je leur ai dit avoir aperçu l'animal qui déchiquetait les souris. Mon père m'a fait sa tête des mauvais jours, car je n'étais pas censé être au courant de ce détail sordide. Avec mes mains, je lui ai montré la taille que faisait cet animal et il m'a répondu à juste titre qu'il était bien trop gros pour s'introduire dans la maison.

La « rencontre » s'est répétée le lendemain soir, toujours au moment où je fermais mes volets. J'ai hurlé pour que tout le monde m'entende, surtout que la masse sombre rampait vers le fond de notre immense jardin. Elle avançait un peu comme une chauve-souris, une patte après l'autre, en plantant ses griffes dans la terre, car il ne pouvait pas s'agir de mains. Son corps était vraiment étrange, aussi large que plat. Voulant tirer cette histoire au clair, mon père a été cherché une lampe-torche et a inspecté le jardin pendant une bonne dizaine de minutes, sans succès.

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