L'affaire Carpenter

Rapport

La victime s'appelait Anthony Carpenter, aussi connu sous le nom d'Antoyne Tenarche. Quarante deux ans, célibataire, aucun recensé, casier vierge tout comme son dossier médical. D'après le médecin légiste, notre homme avait une condition physique exemplaire et une santé de fer. L'hypothèse de la crise cardiaque est donc peu plausible malgré les arguments du Commissaire Hierarch concernant la nature maladive des auteurs solitaires. Il se trouve en effet qu'Anthony Carpenter écrivait. "Antoyne Tenarche", c'était son pseudonyme, un "nom de plûme" le commissaire m'a dit. Selon le témoignage des résidents de l'immeuble 65A du Block Beta où il résidait, c'était un homme aimable et cultivé mais assez discret, renfermé. Le genre de type ni gentil, ni désagréable, qu'on oublie vite.

L'individu se revendiquait comme le dernier membre de l'Oulipo dans ses écrits. Des recherches poussées sur le DATA nous ont fourni la liste des anciens membres de ce que nous croyions tout d'abord être une sorte être une sorte de secte. Il s'agissait en fait d'une association d'auteurs et de mathématiciens fondée au milieu du XXe siècle avant de tomber dans l'oubli lors de la Table Rase de 2030. Le travail littéraire d'Anthony Carpenter reste considérable en dépit de son lectorat restreint. 314 œuvres très précisément, comptant chacune trois parties de quatorze chapitres d'essais littéraires. Une véritable rigeur dont sa maison de dématérialisation avait fait l'argument de vente de ses oeuvres.

Anthony Carpenter a été retrouvé mort par l'unité FLY-85, alors assignée à la surveillance de l'immeuble (l'unité en question est en ce moment sous analyses).

Le mobile du meurtre (je maintiens dans ce rapport qu'il s'agit d'un meurtre) semble être directement lié à la profession de la victime et, bien que cela paraisse étrange, à son obsession pour le chiffre 3 et le nombre 14. En effet, l'appartement de la victime était dans un état de négligence extrême et, en tenant compte de l'analyse psychologique, un homme aussi consciencieux dans l'écriture ne pourrait jamais laisser son lieu de vie dans un tel capharnaüm, à commencer par sa bibliothèque. Nous y avons trouvé pas moins de 420 livres physiques (pour la plupart des pièces uniques) empilés dans le séjour, les étagères et la bibliothèque vide (mis à part quelques digitbooks). 

Cette collection impressionnante regroupe des œuvres des membres de l'Oulipo, toutes annotées par la victime. Une trentaine d'entre-elles sont marquées d'un triangle sur la première page et les notes sont faites à l'encre rouge. Il semble évident qu'Anthony Carpenter faisait plus que simplement les lire pour trouver l'inspiration. Ces annotations rouges font mention de "L'Œil" et du "pouvoir des mots". La victime est morte à son bureau pendant son travail de recherche comme l'indique le stylo à encre rouge qu'il tenait toujours dans sa main gauche. Cependant, aucune trace du livre qu'il était en train d'analyser. Aucune trace de violence physique, Anthony Carpenter est mort calmement et l'analyse toxicologique n'a rien relevée. On m'a affirmé qu'il s'était simplement "éteint". En tout cas, il a senti la mort arriver. La victime avait les yeux grands ouverts et le sourire aux lèvres. Autre détail intrigant, il serrait un collier dans sa main droite, en argent avec un œil en pendentif. Cela a sans doute un lien avec "l'Œil" de ses notes. 

Il semblait également fasciné par la culture égyptienne. De nombreux posters représentant le sphinx ou les pyramides étaient affichés partout dans son appartement, deux papyrus étaient encadrés dans sa chambre et les digitbooks de sa bibliothèque étaient soit des guides touristiques, soit des récits de voyage en Égypte. J'ai également retrouvé plusieurs jeux de tarot divinatoire dont la victime gardait une carte dans sa poche arrière droite (la roue de fortune précisément).

Ces différents éléments me poussent à croire qu'au-delà de l'auteur talentueux qu'était Anthony Carpenter, il y avait un homme en quête de réponses ou peut-être un fou, s'il n'était pas mort d'une façon aussi étrange. Dans tous les cas, je compte bien lever le voile sur cette affaire. Entre les nombres, l'Égypte et une littérature oubliée depuis le siècle dernier, les indices sont très minces. J'attendrais d'avoir les résultat de l'analyse du drone de surveillance. J'y verrai surement plus clair.