Jour 2

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Encore une fois, elle se met à gribouiller dans son carnet, je me demande même si ce n'est pas un tic ou un style qu'elle se donne.

– Dites-en-moi plus sur votre perception du mot « rêve ».

Qu'est-ce qu'elle ne comprend pas, elle veut un dessin, peut-être ?

– « Rêve » signifie « espoir ». Au stade où j'en suis, je n'espère plus rien de la vie, je lui explique.

– Hmm, murmure-t-elle.
Alors je continue :
– Une fois, je me rappelle qu'il m'a dit que j'étais la fille la plus vivante qu'il ait jamais rencontrée. Forcément, la situation était ironique, je suis condamnée. Je vis comme une morte.

– Comment ça, « vous vivez comme une morte ? »

–Je ne fais rien de ma vie, il y a longtemps que j'ai laissé tomber.

C'est vrai, quand on apprend qu'on est malade, on se dit qu'il faut faire le plus de choses possible avant de partir, qu'il faut laisser notre marque sur le monde, accomplir nos rêves, réaliser des prouesses, mais au fur et à mesure, on devient faible et on est dans l'incapacité de faire quoi que ce soit. On en est réduit à regarder les autres s'amuser pour nous, ou se plier en quatre pour qu'on obtienne ce que l'on veut. Je ne suis pas ce genre de personne. Je ne vais pas laisser les autres se damner pour mes mille et une volontés. J'aime obtenir ce que je veux par l'effort, il n'y a que comme ça que l'on apprécie vraiment ! De plus, je ne veux rien, à part peut- être...

Elle m'interrompt dans ma pensée.

– Depuis combien de temps avez- vous laissé tomber ?

Qu'est-ce qu'elle ne comprend pas, à la fin ? Je ne parle pourtant pas une autre langue.

– J'ai laissé tomber la vie depuis le jour même où j'ai su qu'elle allait m'abandonner.

On se regarde les yeux dans les yeux pendant un bref instant, elle me fait un sourire de compassion, la première fois qu'elle me sourit depuis le début, je dois sacrément lui faire pitié là.

Je souffle et reprends.
– Passons, pour en revenir à Julien... Elle me coupe dans ma lancée.
– Vous ne faites que parler de lui. –C'est normal, il monopolise mes pensées. Il est toujours là, lui, je sais qu'il ne m'abandonnera jamais.

– Il vous l'a dit ?

– Oui, plusieurs fois, je n'ai pas toujours voulu le croire. Maintenant, je suis bien obligée.

– Pourquoi cela ? dit-elle en fronçant les sourcils.

– Il est toujours là, malgré le fait que je sois plus qu'odieuse avec lui, malgré le fait qu'il y ait plein d'autres filles qui tueraient pour lui. Moi, je ne vaux rien. Il ne devrait pas m'aimer, nous n'avons rien en commun, il s'entend mieux avec d'autres.... En particulier avec une, il est tellement heureux quand il me parle d'elle, je me demande pourquoi il perd son temps avec moi.

– La jalousie est tout à fait normale. Pour qui elle me prend, celle-là ?
–Je ne suis pas jalouse, dis-je, non sans une pointe d'agressivité dans la voix.

Elle gribouille, encore et encore...
– Parlez-moi de cette fille.
– En quoi cela peut-il vous être utile ?!

Elle me lance un regard insistant.

– Bon, d'accord, elle s'appelle Lana, c'est tout ce que je sais d'elle. Elle s'appelle Lana, elle a les cheveux couleur feu, les yeux couleur océan, une peau claire qui paraît douce au toucher. Elle aime les jeux vidéo, les cerises, elle est nulle en anglais, elle veut devenir pédiatre. Elle est jolie. Elle est amoureuse, amoureuse de mon Julien.

Elle relève ses lunettes et se frotte les yeux.

– Depuis quand le savez-vous ?

– Depuis le 25 mars, à très exactement 1 heure 03 de l'après-midi. Je m'en souviens comme si c'était hier, c'était même probablement hier, je n'ai plus la notion du temps vous savez.

– Non, ce n'était pas hier, mais poursuivez.

– Il me l'a avoué, il m'a dit mot pour mot « J'ai peur de ne plus t'aimer », alors je lui ai demandé pourquoi, qu'est-ce que j'avais fait de mal, il m'a répondu qu'il n'en savait rien. Il fallait que je lui laisse du temps pour qu'il puisse réfléchir.

– Alors ?

J'ai l'impression que ma vie devient un feuilleton, elle attend la suite comme on attendrait le dernier épisode de Grey's Anatomy.

–Alors, je lui ai laissé du temps, cette idée ne me plaisait pas, tout ce que je voulais, c'était être avec lui, je ne supportais pas de le savoir loin, pendant une durée indéterminée qui plus est. La semaine d'après, je craquais, je n'en pouvais plus, je voulais aller le voir, lui dire que je l'aimais et que je ne pouvais vivre sans lui, enfin vous voyez le genre, une belle déclaration digne d'un grand film. J'ai cherché mon sac, mes clés, et puis non, j'ai tout laissé tomber, je n'avais pas le temps, ni le temps d'attendre le bus, j'ai couru jusque chez lui. Je m'apprêtais à frapper à sa porte quand j'ai entendu du bruit, venant du jardin à l'arrière de la maison. J'ai fait le tour et c'est là que je les ai vus. Ils riaient en se lançant de l'eau à la figure. Je ne l'avais jamais vu aussi heureux dernièrement. Il respirait la vie, et elle, elle le regardait comme moi je le regarde, comme une fille amoureuse. C'est alors que je me suis évanouie, un instant. Je ne me souviens plus de la suite, mais quand je me suis réveillée, il était là, à mon chevet, la tête posée sur mon ventre. Il m'a présenté des excuses, il m'a fait mille et une promesses, nous allions rester ensemble pour la vie, il n'aime que moi, et moi seule, il ne sait pas ce qu'il lui a pris de m'abandonner, et j'en passe. Mais moi, à ce moment-là, je savais parfaitement qu'il ne m'était plus réservé. J'ai appris plus tard que ma perte de connaissance était due à ma maladie. Le voilà à son tour prisonnier, sans le savoir, de ma maladie.

– Où voulez-vous en venir ?

– Je dis que s'il n'y avait pas eu cette foutue maladie, il serait peut-être avec elle, au lieu de moi. Il n'aurait jamais eu pitié de moi, il ne se serait pas forcé.

– Donc vous pensez que c'est à cause de cet incident qu'il reste avec vous ?

Super déduction, madame la psy.

– Oui, forcément, il se sent coupable et s'oblige à m'aimer.

– Je ne pense pas comme vous, je pense que lorsqu'elles sont sur le point de les perdre, certaines personnes se rendent compte à quel point d'autres sont importantes.

Un dernier rendez vous IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant