VIII

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VERA : Vous considérez-vous comme une personne sincère Hector ?

HECTOR : Vous savez, Mademoiselle Véra, j'aime la vérité moi aussi. Mais savez-vous les dégâts que je ferais si je conseillais à mes patients d'être totalement honnêtes ? Bien sûr je leur conseille de l'être en thérapie, parce que j'ai la capacité de les écouter et les accepter sans les juger. Mais s'ils étaient honnêtes dehors dans le monde, ils seraient détruits. Les gens jugent au lieu de chercher à comprendre Mademoiselle Véra. Moi je suis un thérapeute, je ne le fais pas. Mais les gens jugent. Et mes patients ne sont pas prêts à subir ces jugements. Ils progressent, peu à peu. Et je veux bien accepter votre idée d'un développement psychique qui aboutirait à la capacité de reconnaître la vérité et être prêt à l'assumer. Forcément ! C'est l'objectif d'une thérapie. Mais demander aux gens d'avoir cette capacité du jour au lendemain, c'est absurde. Vous pensez que si ils n'avaient plus l'option de mentir ils auraient forcément la capacité d'accepter la vérité ? C'est faux ! Il n'y a aucune raison que ça aille de pair ! Après trois générations dans votre société, peut-être. Mais à quel prix entre temps ? L'humanité n'est pas prête pour ce que vous proposez Mademoiselle Véra. Et vous ne pouvez pas la forcer à adopter votre idéal de l'Homme et de l'humanité.

VERA : Vous n'avez pas répondu à la question.

HECTOR : Ce n'est pas à vous de poser les questions Mademoiselle Véra. Je suis psychanalyste, je suis forcé de garder des secrets. Pensez-vous que ça fait de moi un être mauvais ? Pensez-vous que le fait de réclamer la confidentialité est un péché ? Pensez-vous que ce que me racontent mes patients est une vérité à laquelle l'accès par tous devrait être un droit ? Ne croyez-vous pas que le fait d'avoir une vie privée est un droit ? Ne croyez-vous pas qu'il s'agisse d'une nécessité pour notre fonctionnement psychique ?

VERA : Vous n'avez toujours pas répondu. Mais je connais la réponse. Si vous mentez sur ce que vous faites de vos week-end, pour des raisons futiles comme les vôtres, il y a peu de chances que vous considériez la Vérité comme une valeur. Et arrêtez de me parler de votre profession !

HECTOR : Je vous parle de ma profession parce que c'est important Mademoiselle Véra. Vous voulez le progrès de l'humanité ? Moi aussi ! Je partage votre croyance profonde en l'idée que le progrès individuel passe nécessairement par une meilleure connaissance de soi-même. Mais connaissez-vous réellement le prix de ça ? Savez-vous le courage que cela demande ? Pour parvenir à la vérité sur soi-même, il faut envisager toutes les hypothèses. Il faut se mettre soi-même en procès, et porter contre soi les accusations les plus horribles, les plus honteuses. Il faut déterrer toute la crasse au fond de nous. Et même si on tombait sur une personne qui n'avait aucune crasse en elle, il faudrait envisager l'hypothèse de la crasse pour l'en disculper ensuite. Vous comprenez où je veux en venir ?

VERA : Absolument pas Hector. Vous trouvez l'humanité trop lâche, j'ai compris ça depuis longtemps.

HECTOR : Ce n'est pas juste ça. Oui, l'humanité n'est pas prête. Mais elle ne le sera jamais. La réalité est moche Véra. Ce n'est pas seulement notre monde qui est moche. Le vôtre le serait aussi. L'intérieur de notre psychisme est moche. Peut-être êtes-vous capable de concevoir un monde où nos désirs profonds et notre égoïsme fondamental seraient des vérités acceptables et acceptées. Mais j'en suis incapable. Chacun doit l'accepter pour soi-même s'il veut progresser psychiquement. Mais l'accepter de tous ? Connaître la crasse de chacun ? Ce serait beaucoup trop lourd à porter. Le monde nous semblerait trop horrible.

VERA : Vous préférez l'illusion, je sais.

HECTOR : Mais croyez-vous vraiment que dans votre monde il y aurait plus de vérité et moins d'illusion ? Je crois que ce serait l'inverse, Mademoiselle Véra. Le mensonge les dégoûterait, et alors ? Vous savez quel est le meilleur moyen de ne pas mentir ? Ne pas connaître de vérité dérangeante. Savez-vous comment ne pas avoir à mentir sur soi-même et pouvoir maintenir une bonne image ? Ne pas s'analyser. Les gens cesseraient de s'analyser et d'analyser les choses ! Ils auraient trop peur des réponses qu'ils pourraient trouver, alors ils cesseraient de se poser des questions, tout simplement. J'en suis absolument convaincu ! Le psychisme humain est trop sombre. Vous êtes assez forte pour accepter de le voir en face ? Très bien ! Vous vous sentez assez forte pour accepter de montrer votre crasse à la face du monde ? Très bien ! Mais n'imposez pas votre choix à d'autres ! Parce que les conséquences en seraient dramatiques. Ce n'est pas juste qu'ils en souffriraient et s'effondreraient. C'est bien pire ! Ils arrêteraient de s'interroger. Et je ne crois pas qu'une humanité où personne ne se pose jamais de question soit ce que vous voulez.

VERA : Vous essayer de me faire avaler qu'un monde où on ne pourrait dire que la Vérité serait au final un monde où on connaîtrait moins de Vérité, parce que ce serait un monde où on arrêterait de chercher la vérité ?

HECTOR : Oui, Mademoiselle Véra. Les hommes ont besoin d'une vie privée. Ils ont besoin de pouvoir agir et réfléchir sans se demander systématiquement ce que les autres en penseraient. C'est cet espace de liberté qui permet de glander sur le canapé, mais c'est aussi cet espace de liberté qui permet de s'analyser et de rechercher la vérité ! On ne vit pas pour les autres Mademoiselle Véra ! Ce n'est pas sain ! Et, vous ne vous en rendez pas compte, mais dans votre monde, ce serait le cas ! Ce n'est pas quelque chose que je cherche à vous faire avaler, Mademoiselle Véra. C'est la Vérité !

Véreuse VéritéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant