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VERA : Mais je ne suis pas malade Hector ! C'est le monde qui est malade ! Je naît au milieu de ce monde malade et je devrais juste m'en contenter ? Quand j'ai entre mes mains le moyen de le changer et de créer un monde meilleur ?

HECTOR : Vous n'êtes pas née avec ce moyen entre les mains, Mademoiselle Véra. Vous avez au cours de votre jeunesse, pour une raison qu'il nous reste à déterminer, développé cette obsession pour la Vérité. Puis vous avez passé votre vie à développer les moyens de faire de votre vision du monde idéal une réalité.

VERA : C'est faux ! C'est faux ! Vous croyez tout savoir ! Vous basez votre carrière sur des théories fumeuses qui nient le fait que chaque humain et chaque parcours est unique. Vous croyez que chaque vie psychique n'est que la répétition de schémas présents dans d'autres vie psychiques. Vous simplifiez la complexité humaine au point de la nier et de la détruire ! Je n'ai pas développé d'obsession. J'ai étudié la psychologie comme vous Hector. Pas exactement comme vous, puisque je me suis éloignée bien vite de vos théories fumeuses pour m'intéresser à une approche plus scientifique. J'ai étudié les neurosciences. Et j'ai su que l'humanité avait à sa disposition les moyens de changer les choses.

HECTOR : Comment vous est venu cette révélation ?

VERA : Vous voulez que je raconte que je me suis réveillée un matin en entendant une voix ? Ça vous ferait bien trop plaisir ! Non, il s'agissait de réflexions au cours des années, d'hypothèses que j'ai testées. Vous aviez raison tout à l'heure, j'ai effectivement envisagé un moment de priver l'être humain de sa faculté à mentir. Mais vous savez, c'est impossible. Les réseaux cérébraux impliqués dans le mensonge sont aussi ceux qui nous permettent de comprendre les autres et d'envisager des points de vue différents du nôtre. Les tout jeunes enfants sont incapables de mentir, mais ils sont aussi incapables de comprendre qu'autrui puisse penser différemment d'eux et ne pas savoir tout ce qu'ils savent. Ils vont déplacer leur poupée et quand leur mère ira la leur chercher ils s'étonneront qu'elle n'aille pas chercher là où la poupée était initialement rangée. Mes premières réflexions étaient autour de tout ça. Un jour je me suis fait la réflexion que par certains aspects les enfants étaient meilleurs que nous. Et je me suis demandée s'il ne serait pas souhaitable d'avoir par certains aspects un fonctionnement cérébral plus proche du leur. Mais la réponse a été "non" Hector. Non ce n'était pas souhaitable. Oui, les facultés humaines que nous développons en grandissant ont toutes de l'intérêt, et j'ai renoncé à l'idée de nous priver de certaines d'entre elles.

HECTOR : Et pourtant vous vous êtes obstinée à chercher un moyen de nous interdire de mentir ?

VERA : Bien sûr Hector. Je suis capable d'étrangler mon neveu, mais ce n'est pas pour autant que je dois le faire. Les êtres humains sont capables de mentir, mais ce n'est pas pour autant qu'ils doivent le faire. C'est juste une capacité qui résulte d'autres capacités qui ont d'autres fonctions. Vous comprenez ? Je peux étrangler mon neveu parce que j'ai besoin de ma capacité de préhension et d'avoir assez de force dans mes mains pour effectuer d'autres actions. Mais ce n'est pas pour étrangler mon neveu que j'ai cette force dans mes mains. Je suis capable de concevoir qu'autrui puisse avoir une vision des choses différente de la mienne, et de déterminer quelle vision des choses il aura en fonction des informations dont il dispose. Mais ce n'est pas pour mentir à autrui que j'ai ce pouvoir entre les mains. Je n'étrangle pas mon neveu. Et pourtant croyez-moi qu'à l'entendre pleurer on aurait envie de l'étrangler ! Mais je ne l'étrangle pas, parce que je sais que c'est mal et que mon action aurait des conséquences.

HECTOR : Donc pour empêcher les humains de mentir, il aurait suffi de leur montrer les conséquences de leurs mensonges et de leur prouver qu'elles sont mauvaises ?

VERA : Oui Hector, parfaitement. Mais, comme je vous l'ai expliqué tout à l'heure, c'était impossible. Parce que dans ce monde, les conséquences du mensonge sont souvent bonnes, et les conséquences de la vérité souvent mauvaises. Je n'aurais pas pu leur prouver que la vérité est meilleure, parce que c'est faux dans notre monde. J'ai envisagé de faire quelques conférences pour leur expliquer ma vision d'un monde alternatif. Mais convaincre chaque être humain un par un, sans aucune exception ? Le problème de ma vision, c'est qu'elle échoue si ne serait-ce qu'une seule personne n'est pas de la partie.

HECTOR : Pourquoi donc ?

VERA : Parce que le mensonge profite à ceux qui mentent. Et plus celui qui ment sera seul à mentir, plus le mensonge lui profitera. Si tout le monde disait toujours la vérité, l'homme qui mentirait aurait une crédibilité infinie et ses mensonges lui profiteraient immensément. Voyant ça, les autres voudraient leur part du profit et recommenceraient à mentir. Vous comprenez ? C'est impossible ! Devoir dire la vérité dans un monde où d'autres mentent, c'est trop coûteux. On en pâtit. C'est injuste ! Je devais lutter contre cette injustice ! Je devais créer un monde où dire la vérité serait une normalité, et pas un sacrifice. Ce qu'il suffisait de faire, c'était dégoûter les êtres humains du mensonge.

HECTOR : Dégoûter les êtres humains du mensonge ? C'est à ça que vous réduisez vos agissements ?

VERA : Tout à fait Hector. La Vérité est à mes yeux une valeur. Dire un mensonge me semble inconcevable. Cela me révulse. Dans la plupart des cas, je préfère encore subir le prix de la Vérité. J'ai cette sensation de dégoût face aux mensonge parce que j'ai cette valeur Vérité, développée au fil de mes réflexions et de mes expériences de la vie. Peu importe l'origine Hector. Je ne la connais pas et je m'en contrefiche, mais c'est probablement une conjonction d'éléments, et pas un événement unique qui m'aurait traumatisée. J'ai donc cette valeur, que tous devrait avoir. Et il y avait un moyen simple au possible de développer cette Valeur chez les autres. Un moyen de faire en sorte que mentir les révulse autant que ça me révulse et que dire la Vérité leur semble toujours la seule solution envisageable.

HECTOR : Les conditionner ! Vous avez tenté de les conditionner Mademoiselle Véra ! Sans leur accord ! Contre leur volonté ! En ne leur fournissant aucun moyen de refuser !

VERA : Mais c'était si simple Hector ! C'était si simple et ça aurait été si bon pour tout le monde ! Mettez vous à ma place un instant. Croyez-vous que ce soit si différent de ce que vous faites vous ? Vous cherchez à reconditionner les gens par le dialogue. Je travaillais à soigner des pathologies grâce aux nanotechnologies. Où placez-vous la limite entre normal et pathologique Hector ? De minuscules électrodes pour générer des sensations de dégoût ou de joie, est-ce si diabolique ? Auriez-vous trouvé ça criminel si j'avais cherché à les utiliser pour soigner l'anxiété ou la dépression, plutôt que pour soigner le mensonge ?

HECTOR : Oui Mademoiselle Véra ! Oui j'aurais trouvé ça criminel, dès lors que vous n'auriez pas eu l'accord des malades pour leur faire subir ce traitement !

VERA : J'étais face à des malades qui n'étaient plus en état de consentir. La pathologie avait infecté tout leur psychisme. Je cherchais à sauver le monde.

Véreuse VéritéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant