« Ce n'était pas juste une connaissance, en fait. Elle était comme... Les brises chaudes de la fin de l'été, les vieux livres des bibliothèques, les chansons qu'on ne se lasse jamais d'écouter. Elle était sauvage et je ne connais personne qui ait pu l'apprivoiser.
Je me suis souvent demandé si elle n'avait pas eu plusieurs vies. Elle avait ce regard toujours bienveillant, elle savait comment panser les blessures, visibles ou non. Mais il y avait un problème avec elle. Elle était malade, ce genre de maladie inexpliquée et incurable. Elle était malade de vivre. Elle n'aimait pas être là, sans qu'elle-même ne puisse le comprendre.
J'avais l'impression que, parfois, elle devenait transparente : ses yeux fixaient le vide, ils devenaient brumeux. Elle ne parlait plus, ne regardait rien.
Je me disais dans ces moments-là qu'elle revisitait d'anciennes vies, peut-être qu'elle était une duchesse ou quelque chose comme ça. En tout cas, elle devait être une grande dame. Forcément.
Une déesse. »
La journaliste resta interdite quelques secondes, griffonna quelques notes sur son calepin avant de jeter un regard inquiet au régisseur sur sa droite. Il lui rendit son regard avant qu'elle ne se tourne vers le musicien.
Il regardait le pied du micro avec insistance, sans véritablement l'observer. La jeune femme se racla la gorge avant de reprendre.
« Vous êtes sûr que vous voulez garder cette prise ? »
Léo releva les yeux vers elle et sourit faiblement.
« Oui. Il faudra bien que cette histoire sorte un jour. Si vous avez besoin d'une exclusivité, je vous la donne, renchérit-il en haussant les sourcils. Vous savez quoi, je le cache depuis trop longtemps et je ne peux plus gardez ça. »
La journaliste n'en revenait toujours pas. Elle regarda le jeune homme, il but une longue gorgée d'eau avant de frotter ses paumes l'une contre l'autre, visiblement gêné mais presque impatient.
« J'y vais ? demanda-t-il.
- Quand vous voulez, tu tournes Greg ? »
Le régisseur acquiesça et, d'un signe de la main, il indiqua au jeune homme de commencer.
« C'était en 2013, je crois, la première fois où je l'ai vue. Il pleuvait comme jamais et les gens couraient dans les rues pour se mettre à l'abri. J'attendais un pote sous l'auvent d'un magasin quand je l'ai vue pour la première fois. Elle avait... Une sorte de veste orange quatorze fois trop grande pour elle. Elle ruisselait littéralement, elle était vraiment trempée. Et, elle semblait s'en foutre complètement ! »
Léo riait aux éclats mais malgré sa joie furtive, la jeune femme remarqua qu'il subsistait quelque chose de plus angoissé dans cette scène : sa jambe gauche tremblait de spasmes et il hochait la tête en signe de 'non'.
« Bref, reprit-il soudainement. Elle m'a rejoint sous le auvent et je lui ai proposé ma veste. Je n'avais pas vu qu'elle avait des écouteurs, elle paraissait tellement tranquille alors que tout le monde courait dans tous les sens autour de nous, c'était un vrai contraste ! Et finalement, elle a enlevé ses écouteurs et elle m'a regardé fixement, comme si je venais de lui proposer de la came, ou quelque chose de vraiment affreux. C'est comme ça que ça a commencé. »
La journaliste avait posé son stylo et écoutait attentivement. Le régisseur s'était assis, ils étaient tous trois comme dans un bar, au coin d'une table à écouter leur ami avouer un terrible secret. Comme s'il le connaissait depuis longtemps et qu'ils venaient de découvrir que, finalement, les gens qui vous semblent le plus proche cache parfois des choses et ne vous les avouent que des années après.
« On ne s'était que croisés de temps en temps après ça. Et je lui faisais signe quand je la voyais dans la rue. À l'époque, je commençais tout juste à me faire connaître, je jouais dans le métro. Ça commençait à prendre, mais uniquement sur les réseaux... Je pensais qu'elle ne me connaissait pas, j'étais juste un mec dans la rue sous la pluie. Mais on s'est revu dans le bus. J'étais assis et elle est entrée à l'arrêt juste avant le mien. Elle m'a vu et et est venue me dire directement 'Je t'ai reconnu, tu sais.'. Avant, elle ne me répondait à peine, j'avais beau lui faire la conversation, elle me répondait vaguement. Quand elle m'a dit ça dans le bus, j'ai entendu qu'elle avait un accent. Elle avait une façon de prononcer 'reconnu' qui n'était pas du tout... Normal ou, américain. Elle n'était pas d'ici. J'ai appris plus tard qu'elle était française. Et, bref tout ce que je veux dire, c'est qu'elle m'a un peu... Déconcerté.
- Et... Pardon de vous interrompre, mais... Vous parlez d'elle au passé... Je ne veux pas être indiscrète, mais...
- Non, elle est vivante ! En fait, je l'espère vraiment. Vous comprendrez avec la suite.
- Excusez-moi, poursuivez s'il vous plaît. »
Léo observa la jeune femme un instant avant de baisser les yeux vers ses mains. Il contempla quelques secondes les bagues qu'il portait avant de reprendre son récit.
« J'ai ensuite compris qu'elle ne connaissait pas l'anglais. Que c'était pour ça qu'elle me répondait à peine quand je lui parlais. En fait, elle comprenait rien de ce que je lui disais ! Ça faisait des semaines qu'on se croisait dans les mêmes lignes de bus, aux mêmes endroits et moi, je venais l'attendre quand je finissais plus tôt les cours. Et elle comprenait rien de ce que je lui racontais. Mais ça, elle me l'a avouer beaucoup plus tard. »
NDA : Les dialogues sont volontairement écrit en italique. Ces dialogues sont originellement en anglais. Lorsqu'ils ne seront pas anglais, mais français, je les laisserai tels quels.
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Dancing with the Devil
ChickLitLa gare était bondée. Les trains s'en allaient et arrivaient sur chaque voie. Au milieu de ce chaos, Allie tentait de se glisser péniblement afin d'accéder à un endroit plus spacieux. À côté de l'escalier souterrain, elle s'assit enfin ses sur bagag...