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Nageant dans l'eau doucement, je chante, attendant que le spectacle commence. Le chlore dans l'eau me pique les yeux et me brûle les nageoires. Mais je ne dois pas le montrer au public où l'on me privera de nourriture pendant quelque temps.

Je tourbillonne dans l'eau, revoyant mon numéro de scène. Je me vois encore, devant des centaines de personne, sauter hors de l'eau pour revenir dedans à la seconde qui suit. Les parents disant à leurs enfants que je suis un faux alors que mon maître leur prouvera le contraire.

Mais je leur montrerais, moi, vu que je n'ai pas le droit de parler, que je suis réel. Quand ils verront que je peux respirer sous l'eau sans bouteille d'oxygène, ils comprendront sans l'aide du maître qui crit dans son micro. Je fais partie d'une espèces rare, mi-homme mi-poissons, les sirènes.

Mon espèce est presque éteinte. Quand les humains nous on découvert sous l'eau il y a dix ans de cela, immédiatement on nous a embarqué. Beaucoup de scientifiques ont fait des expériences sur nous. Ma soeur est décédée sous leur puissante drogue , ils voulaient savoir jusqu'à où son corps pouvait tenir. La curiosité fait faire des choses affreuses.

Plus quelque chose est rare, plus l'humain veut se l'approprier. Voilà l'image que j'ai d'eux.
J'ai vu ma famille se faire déchirer les nageoires, disséquer le corps et se faire dévorer par des requins. Tout ça pour faire croître le savoir humains.

J'ai assez de chance d'avoir survécu aux horreurs des scientifiques. Enfin non. J'aurais préféré mourir. Mais mon instinct de survie le refuse et a voulu que je me soumette aux hommes.

Je laisse ma tête dépasser le grand bocal d'eau, respirant l'air. Je soupire en voyant mon coéquipier nager vers moi. Je lui parle, il ne me comprend pas. Je dois être devenu fou pour être en train de parler à un orque.

Lui aussi devient fou. Les marques de coups de fouet sont gravées sur son corps. Lui aussi, le chlore lui brûle les yeux et lui pique la nageoire. Mais ça fait plus de cinq ans qu'il endure ça contrairement à moi où cela fait deux ans.

Je le plains, j'ai vraiment beaucoup de peine envers lui alors qu'il n'est pas le seul à souffrir ici.

Il frappe sa tête sur la vitre qui nous sépare de notre liberté et je râle.

« Arrête » dis-je en tournant ma tête vers lui, j'essaye de me concentrer pour notre spectacle.

Il continu et je soupire, je ne peux pas m'entraîner dans ces conditions-là. Quoique, ce n'est pas plus mal : ne pas m'entraîner va me permettre de pouvoir me reposer quelques minutes. Je nage lentement vers un rocher et m'affale sur celui-ci. Je crois que je me suis endormi après ça.

Le son désagréable que font les humains en parlant me réveille. Le maître commence à parler dans son micro alors que je me prépare à sauter hors de l'eau.

« Mesdames et messieurs, bienvenu au plus grand cirque d'Europe ! »

Voilà ce que je suis devenu. Quand les scientifiques m'ont jugé en bonne santé, j'ai été réduit à "sirène de cirque". La vie n'est pas facile. On se fait battre, privé de nourriture et humilier quand on n'arrive pas un numéro d'un coup. C'est fatiguant. L'eau salée de la mer me manque. Ma liberté me manque aussi.

Mais ce que je déteste le plus, c'est quand le maître autorise les spectateurs à venir toucher ma nageoire. Leurs mains pas lavés, sales et rongées, remplies de sucre et bonbons acidulés me répugnent. Mes écaillent souffrent à chaque fois que leurs doigts secs touchent la partie la plus importante de mon corps.

Mais je souris pour ne pas énerver le maître.

Les petites filles me regardent avec des étoiles dans les yeux. Comme d'habitude, elles tirent sur la manche de leur parents en criant "regarde, regarde, une sirène !".

Ah ! Le maître a arrêté de parler et tous les regards sont sur moi, c'est partit...

Je me mets en face de la vitre, pour que le public puisse me voir et leur souris en hochant la tête. Je nage à toute vitesse pour prendre de l'élan et sors rapidement de l'eau. J'ai l'impression de voler quand mon corps est hors de l'eau, comme si tout était au ralentis. Je ferme les yeux pour profiter de ces quelques secondes. J'aime bien,, c'est très agréable.

Profitant encore un peu de l'air, j'atteri sur l'orque en faisant une position impressionnante. Je sens mon coéquipier trembler. Je lui ai fait mal et je le sais. Mais je ne pouvais pas faire autrement.

Le public applaudis. Je regarde les spectateurs un à un. Mon regard reste bloqué sur un homme, au visage neutre. Aucune expression n'est visible sur son visage, sauf dans ses yeux.

On dirait qu'il me regarde avec peine. Comme si... comme si il me comprenait...
Mon sourire disparait alors que je le regarde aussi. Plus rien n'existe autour. Ses cheveux noirs, ses yeux orageux, sa peau blanche. Il y a des centaines de spectateurs et pourtant je ne vois que lui. Je l'admire encore et encore, c'est le seul à me regarder avec ce sentiment-là.

Je sursaute d'un coup je me suis perdu dans mes pensés ! Je regarde discrètement le maître. Son regard me terrifie. Il est noir, froid, rempli de colère.

Tout le public me regarde. Ils veulent que je continu mon numéro. Je ne penserais plus au noiraud !

Je saute de l'orque pour atterrir dans l'eau. J'évite de lâcher un cri tant la douleur me tiraille. L'eau se colore de rouge, ma nageoire s'est légèrement déchirée, du sang coule de celle-ci.

J'ai les larmes aux yeux, je me cache sous l'eau. Ils ne remarquent même pas que je saigne, aveuglés par la beauté du spectacle.

Mais je préfère qu'ils soient aveuglés, pensant que nous sommes heureux, plutôt qu'ils soient traumatisés par l'envers du décor. Après tout, ces gens là sont payés pour se faire de beau souvenir avec les animaux.

Mais j'aimerais bien être à leur place : payer, m'asseoir tranquillement sur un banc, regardant un spectacle d'animaux qui a coûté une centaine de coups de fouet, et m'en aller quand c'est fini. Ca devrait être cool.

Les gens sont trop ignorants sur ce qu'il se passe ici, ça en devient bizarre. N'ont-ils jamais remarqué notre souffrance ? Non... Ils remarquent juste des animaux faisant des choses extraordinaire, des animaux "heureux". Tant qu'ils ne voient pas ce qui se passe en coulisse, ils peuvent penser que la vie est belle pour nous.

Après tout, c'est ça, la magie du spectacle.

MermaidOù les histoires vivent. Découvrez maintenant