Chapitre II : La Forêt des Murmures

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Le ramener à la vie. Il n'en croyait pas un mot.

— On ne revient pas d'entre les morts, c'est impossible ! hurla Selim, persuadé que William se jouait de lui.
— Et un monde où l'on va après avoir rendu son dernier souffle c'est possible peut être ? Eh bien oui figure toi, alors cesse de geindre et écoute-moi !

Il n'avait pas tort. Si ce monde existait, pourquoi pas la résurrection. Selim l'incita à continuer d'un signe de la tête.

— Sur Éden tu as le choix, mais le temps est compté. Tu peux soit revenir à la vie, soit rejoindre le Jardin.
— Le Jardin ? demanda Selim.
— Oui, c'est un lieu où tu seras en paix pour l'éternité. Dans les deux cas le chemin est dangereux, et il faudra rester sur tes gardes pour y arriver.

Quel choix était le plus judicieux ? Retourner à sa vie d'avant ? Ou passer l'éternité ici, sur Éden ? Il n'avait plus aucun souvenir de sa vie passée. Avait-il une famille ? Était-il seul ? Et surtout une question subsistait. Comment avait-il perdu la vie ? Selim n'en savait rien, et William voyait bien qu'il était désemparé. Autrefois, lui aussi avait dû faire ce choix.

Selim était plongé dans ses pensées et plus il réfléchissait, moins il y voyait clair.

— Tu as écouté ce que je t'ai dit ? Le temps presse pour toi ! insista William.
— Comment ça ? répondit Selim. Quand on est mort on a au moins le temps de réfléchir !
— Pas du tout ! Si tu ne rejoins pas le Jardin à temps, ou que tu n'as pas réuni tout ce qu'il te faut pour ressusciter avant que ta dépouille soit inhumée ou incinérée, tu seras condamné à rester en dehors du Jardin, et les créatures peuplant Éden te traqueront.

Selim sourit d'un air moqueur. Comment pouvait-il mourir une deuxième fois. C'était le comble de l'ironie. Cependant, William n'avait pas l'air de blaguer, et Selim le prit donc au sérieux.

— Mais je ne sais pas quoi faire ! Est ce que ça vaut le coup de revenir à la vie sans savoir ce qui m'y attend ?
— Ça tombe bien, j'ai une idée ! répliqua William, fier de lui. Pour revenir d'entre les morts il faut que tu retrouves trois choses qui sont venues avec toi sur Éden. Ton Esprit, ton Corps, et ton Âme. Il faut retrouver les trois. Sans ça c'est impossible de repasser de l'autre côté.
— En quoi ça m'aide ? demanda Selim, toujours plus intrigué au fil du temps.
— C'est là que ça devient intéressant. La forêt que tu vois en bas s'appelle la Forêt des Murmures, un lieu considéré comme maudit. Ton Esprit se trouve au milieu de la forêt, dans l'arbre le plus gros. Une fois que tu l'auras récupéré, tous les souvenirs de ta vie passée te reviendront.

Selim regarda la forêt. Il vit au loin, en plein centre, un arbre se démarquer des autres. D'abord par sa hauteur, il surplombait les autres d'au moins dix mètres, puis par la couleur de ses feuilles bleu turquoise. Il était certain de n'avoir jamais vu d'arbre de cette couleur de son vivant, nul besoin de recouvrer la mémoire pour le savoir. Il ne pouvait pas en décrocher le regard. C'était le seul moyen de savoir si quelque chose l'attendait de l'autre côté. Il fallait qu'il traverse cette forêt, qu'il retrouve son Esprit.

William se leva, et Selim en fit autant. Il se frotta les mains machinalement, mais ici le sable ne lui collait pas à la peau. William sourit. Encore un reflex de petit nouveau. Il était temps de se mettre en route.

— Descendons, je vais te montrer l'entrée de la forêt, dit William.

Selim acquiesça. William fit un bond, prit ses appuis sur la pente sablonneuse et glissa comme un surfeur dans un rouleau. Il sauta à nouveau pour s'en dégager et atterrit accroupi. Cela semblait tellement simple à le regarder. Il fit un signe à Selim pour lui dire d'y aller, et ce dernier s'élança. Il sauta, glissa, puis tomba sur le dos après avoir perdu l'équilibre, pour finir sa course en roulant. William éclata de rire en l'aidant à se relever.

— Ne t'inquiète pas, si tu as l'impression d'avoir le même corps, tu n'as plus les mêmes sensations. D'ici quelques temps tu te seras habitué, et tu t'étonneras toi-même !

Une chose que Selim trouvait encore plus surprenante que ses prouesses physiques désastreuses, c'est qu'il ne ressentait pas la douleur. Sa chute ne lui avait fait aucun mal.
Ils longèrent la lisière de la forêt pendant quelques centaines de mètres, et une sensation étrange gagna Selim. Il se retournait souvent, comme s'il était suivi.

— Tu les entends ? demanda William. Ce sont les voix de la forêt.

Selim frissonna. Eden n'était plus le cadre idyllique qu'il s'était imaginé depuis son arrivée. Il commençait à avoir peur. Ils s'arrêtèrent devant deux arbres formant une arche feuillue. Il était impossible de voir de l'autre côté. La lumière était si faible, alors que le soleil commençait à peine à se coucher.

— C'est ici. Tu dois te frayer un chemin jusqu'au centre pour atteindre ton objectif. Mais quoiqu'il arrive, ne laisse pas les voix te freiner. 
— Tu ne viens pas avec moi ? demanda Selim d'une voix peu rassurée.
— Non. Je suis déjà passé par là, et je ne peux plus y retourner. Je t'attendrai à la sortie.

William lui fit signe d'avancer. Il n'y avait plus de temps à perdre. Selim s'approcha des arbres, rassembla tout son courage, et pénétra dans la forêt.
« Bonne chance » pensa William.

Tout était sombre, et les arbres semblaient observer Selim. Il avançait pas à pas, en faisant attention à ne pas trébucher sur les nombreuses racines qui sortaient du sol. Les chuchotements s'intensifiaient au fur et à mesure qu'il s'enfonçait dans les bois. Il ne comprenait pas ce que ça disait, mais ça devenait de plus en plus fort. Il n'arrivait pas à distinguer la provenance de ces sons. Il commença à paniquer, et accéléra le pas. Rien ne pouvait le détourner de son objectif et si les chuchotements étaient de plus en plus forts, c'est qu'il devait s'en rapprocher. Mais il s'arrêta net quand il distingua les premiers mots.

« Tu es un lâche », « tu es faible », « tu n'y arriveras pas ».

Ces murmures le paralysaient, et il était terrifié. Il reconnut sa propre voix.

« Comment pourrais-tu y arriver », « Tu vas échouer ».

Selim tomba à genoux, prit sa tête entre ses mains et la serra fermement. Tous ces murmures étaient en réalité ses propres pensées, un condensé de ce qui le torturait de son vivant.

Merci d'avoir lu !

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