Chapitre III : Souvenirs

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Selim n'arrivait pas à se relever. Il lui était impossible de réfléchir, toutes les pensées qui le hantaient quand il était sur Terre lui étaient revenues en tête. Les voix ne faisaient que grandir, impossible d'entendre quoique ce soit d'autre. Au milieu des reproches il entendit crier, ses propres cris. Des cris de douleur, qu'il se souvenait avoir poussés lors de la mort d'un de ses amis, il y a des années de cela. Il revit son visage, ensanglanté et sans vie, dans une ruelle de sa ville. Il revit tous les échecs, toutes les déceptions et tous les malheurs qu'il avait pu subir. Des larmes se mirent à couler le long de ses joues. Il arriva à poser un pied au sol, mais c'est comme si une force l'empêchait de se mettre debout. La douleur était trop grande, il ne supportait pas son chagrin. Il releva la tête et vit à quelques mètres de lui une lueur venant d'un tronc d'arbre. C'était une lueur turquoise et aveuglante. Il s'agissait sans aucun doute de l'endroit où était retenu son Esprit.

— Je ne peux pas renoncer maintenant !

Selim se mit à crier de toutes ses tripes et s'élança. Il courut et s'écroula de nouveau à quelques pas du tronc. Il rampa, enfonçant les doigts dans la terre pour se tirer vers l'avant. Les murmures lui résonnaient tellement en tête qu'il était à deux doigts de s'évanouir.

« Tu ne t'en sortiras pas »

« Tu n'es qu'un bon à rien »

Il aperçut un trou dans le tronc de l'arbre d'où s'échappait la lumière, et dans un dernier effort il y plongea la main. Il sentit une sphère, d'une matière assez souple. Il la prit dans sa paume et sentit au même moment quelque chose s'enrouler autour de ses jambes. En tournant la tête il vit des racines provenant de l'arbre l'agripper au niveau des chevilles. Les racines le tirèrent, lui faisant sortir la main du tronc. Deux branches lui saisirent les poignets et le firent décoller, le maintenant en l'air, les pieds et poings écartés. Soudain un visage se dessina sur le tronc. Un visage effrayant.

— C'est terminé pour toi mon garçon, dit l'arbre d'une voix grave. Je vais me nourrir de ton énergie, et jamais tu ne sortiras de cette forêt !

Cette entité lui glaçait le sang. Il ne pensait pas qu'il pouvait se faire dévorer par un arbre qui parle. Celui-ci ouvrit la bouche, et son étreinte se resserra. Selim regarda dans sa main et une lueur s'en échappait. Il avait encore la sphère. Il sentit qu'il devait l'écraser.

— Foutu pour foutu... pensa-t-il.

Il serra le poing de toutes ses forces et brisa la sphère. Une lumière aveuglante s'en dégagea, éclairant la forêt sur des kilomètres. Selim avait l'impression que sa tête allait exploser. Toute sa vie passée lui revint en tête. Sa naissance dans une petite ville du sud de la France, où il y avait passé la majeure partie de son enfance, puis ses années au lycée et la période de ses études supérieures dans la capitale. La fois où en sortant de boîte de nuit avec Arthur, un ami rencontré à l'école de commerce, une bagarre éclata et comment un fou ouvrit la gorge de ce dernier à l'aide d'un couteau. Il se souvint de l'arrêt de ses études après cet événement, et sa descente aux enfers quand il commença à boire. Mais il se souvint surtout de la fois où, en allant à son bar habituel, il croisa la route de cette jeune femme, celle qui changea sa vie à jamais. Celle qui devint sa femme jusqu'à la fin.

« Camélia ! »

Il ouvrit les yeux d'un seul coup. L'arbre monstrueux était aveuglé à cause du flash, mais Selim était toujours pris au piège.

— Je dois me sortir de là !

Selim se débattait mais les liens étaient trop résistants. Il chercha un moyen de se libérer de cette entrave.

— Le transfert ! pensa Selim.

Il visualisa le mouvement, et parvint à se transférer hors des racines et des branches. En regardant dans sa main, la sphère avait disparu. L'arbre retrouva la vue et tenta de le frapper à l'aide de racines sortant du sol. Selim se mit à courir, sauter et se baisser pour éviter les coups. Les ramures de l'arbre tambourinaient le sol autour de lui pour le stopper dans sa course. Quasiment hors de portée, une dernière racine saisit son bras et le projeta contre un chêne. Une nouvelle branche tenta de l'achever, mais il se transféra pour esquiver le coup. Cette technique semblait être maîtrisée pour de bon.

Selim couru entre les arbres et bosquets jusqu'à ne plus entendre les cris de rage de son ennemi. Il s'arrêta un moment, posa les mains sur ses genoux et reprit sa respiration. En regardant devant lui il vit une sorte de luciole de la taille d'un pouce, brillant d'un magnifique vert émeraude. Elle virevoltait de droite à gauche et commença à s'éloigner. Selim sentit qu'il devait la suivre. Elle le fit passer par des chemins plus étroits les uns que les autres, se coulant parfois entre des ronces acérées.

La nuit étant tombée, il n'avait que la lueur de son corps pour lumière. Pendant qu'il suivait son guide, il repensait à sa vie d'avant. Sa femme qu'il avait laissé sur Terre, ses parents abattus d'avoir perdu leur seul enfant, ses amis qu'il s'était faits à son nouveau travail. Il était désormais nostalgique de cette vie. Un cri le fit sortir de ses pensées. Un cri familier.

— T'as réussi mon pote, t'as réussi !

William était là, à la sortie de la forêt. Il semblait réellement heureux de le voir sain et sauf. Selim fut soulagé de le retrouver.

— Tu aurais pu me dire que je risquais de me faire bouffer par un arbre qui parle ! dit Selim en rigolant.
— Ça aurait gâché la surprise, et puis tu t'en es sorti alors te plains pas, lui répondit William d'un air moqueur.

Selim raconta son périple au sein de la Forêt des Murmures, et les souvenirs qui lui étaient revenus.

— Du coup, comment est-ce que tu es mort ? demanda William.
— Un cancer du foie. J'ai eu un train de vie démesuré à une période de ma vie et j'en ai payé le prix. J'ai maintenant en mémoire l'agonie que j'ai endurée avant de passer de l'autre côté.

William resta muet. Il partageait sa peine. Selim lui donna une tape amicale dans le dos et reprit :

— J'ai appris que j'avais une femme. Elle était vraiment magnifique. Ce qui est drôle, c'est que j'ai entendu sa voix avant de me réveiller sur la plage.
— Ah mon ami, c'est certainement une des choses qui me manque le plus. Les femmes !

Les deux hommes plaisantèrent pendant quelques minutes, et Selim raconta sa vie, sa rencontre avec Camélia et d'autres anecdotes personnelles. Ils étaient assis sur des rochers, tout juste à la sortie du bois. Après un long moment de discussion, William demanda :

— Qu'est-ce que tu comptes faire maintenant ? Tu veux rejoindre le Jardin ou tenter ta chance de revenir à la vie ?

Selim y avait déjà réfléchi.

— Ma vie a été laborieuse jusqu'à présent. Je ne mérite pas encore le repos éternel.

Il se mit debout et dit :

— Je vais retourner sur Terre, racheter les erreurs que j'ai pu faire. Et puis, je dois retrouver ma femme, ma famille. Je suis trop jeune pour les abandonner maintenant.

William se leva à son tour. Il regarda Selim et les deux hommes échangèrent une virile poignée de main.

— Je vais t'accompagner jusqu'à ce que tu repasses dans le monde des vivants, lui dit William. J'espère pour toi que tu as de la ressource, parce que la Forêt des Murmures était sûrement l'épreuve la plus simple !

Selim se crispa. Qu'est-ce qui pouvait bien l'attendre maintenant. Il demanda quelle était la prochaine étape.

— Il est temps d'aller chercher ton Corps. Il se trouve au sommet de la montagne que tu as pu voir depuis la dune. Au sommet il existe une grotte appelée l'Antre de la Chair.

Rien que le nom fit frissonner Selim. Un endroit encore moins accueillant que cette forêt maudite. Mais il fallait en passer par là pour continuer son voyage. Il rassembla son courage, serra les poings et regarda William.

— Mettons nous en route.

Merci d'avoir lu !

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