The tea

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Une goutte de sueur roule le long de sa tempe et s'écrase sur les buissons verts et touffus du champ de thé.

Na Yeon essuie son front ruisselant et se remet au travail. Quelle chance d'avoir trouvé cette place. La vie à la campagne n'est pas facile, et ce revenu supplémentaire sera le bienvenu. La cueillette d'herbes médicinales dans les montagnes avec sa voisine lui permet d'arrondir ses fins de mois mais se nourrir elle et son fils Lu Han tous les jours reste très difficile.

Cueillir le thé n'est pas si compliqué même si cela demande beaucoup de concentration. Na Yeon entend son maître crier à travers les champs de théiers vert cru. 

-Impériale ! Cueillette impériale uniquement ! 


Na Yeon pince avec soin la fine extrémité de la branche de théier en se gardant d'abîmer la jeune feuille et le pékoe, le bourgeon. Puis elle les lance dans la hotte tressée jaune et bleue qu'elle porte dans le dos. Les cordes de la hotte chargée de thé lui scient les épaules.

Le ciel est lourd et gris ; il pleut depuis trois jours. La chaleur est suffocante mais Na Yeon n'y pense pas. Elle veut terminer sa journée et retrouver Lu Han qui a dû rentrer de l'école et l'attend à la maison.

Elle a bien travaillé aujourd'hui et si son panier est assez lourd, elle gagnera peut-être une prime en plus de son salaire. Leur unique repas, le soir, consiste le plus souvent en quelques pommes de terre.

L'argent que lui envoie tous les mois son cher mari Baek Hyun ne couvre pas les frais de scolarité. Il faudra qu'elle se décide à aller travailler en ville elle aussi. Et laisser la garde de leur fils à ses parents. Il faudra prier pour que l'école ne ferme pas, il ne reste plus que trois élèves, les autres ont suivi leurs parents en ville.

Sans instruction elle ne pourra qu'être femme de ménage. Est-ce que sa vie sera meilleure ?

Il faudra peut-être quitter Taiping son village, mais Na Yeon le trouve magnifique. Les pentes escarpées de la montagne jaune ont bercé son enfance et l'ont toujours fait rêver.

La production de thé local, le « thé magique », est connue dans le monde entier. Malheureusement, la lutte contre la corruption du Président Xi a eu pour effet indirect de faire redescendre le prix de ce thé de luxe en favorisant les cadeaux de thé plus ordinaire.

Perdue dans ses pensées, Na Yeon entend ce vacarme sourd, ce grondement terrifiant qui enfle, mais cela ne lui évoque rien et elle ne comprend pas tout de suite.

Elle dirige son parapluie vers le sol et lève les yeux vers les collines.

Une gigantesque coulée de boue rougeâtre se déverse de la gueule béante de la montagne.

Le ciel se remplit de poussière grise et semble complice de l'acharnement de la marée de terre.

Les cueilleuses se mettent à courir en tous sens en jetant leur panier rempli. Les villageois sortent des maisons qui jouxtent la montagne en criant. Le bruit est assourdissant.

Na Yeon reprend ses esprits et se met à courir. Des hommes déjà âgés portent la vieille Madame Chou qui ne peut plus marcher. Les maisons sont complètement écrasées sous le poids de la terre et de l'eau.

-Ma maison ! crie Na Yeon. Ma maison est là-bas !!! 

La terreur l'envahit. Son cœur bat terriblement vite et elle sent sa gorge se serrer. Ses jambes courent encore mais elle ne peut plus respirer. Une plainte rauque sort de sa bouche. Lu Han ! Non ! Mes ancêtres, veillez sur lui ! Je vous en prie ! Je vous offrirai tout ce que vous voulez, tout ce que j'ai, ma vie même ! Mais protégez mon fils ! Les larmes à peine écloses s'envolent dans les airs.


Na Yeon suit un groupe de villageois qui se réfugie dans une grotte de l'autre côté des champs de thé.

Tout ce thé est perdu, se dit Na Yeon. Accroupie dans un coin de la grotte, elle se balance d'avant en arrière, hébétée. Autour d'elle, on parle de cette petite épicerie totalement aplatie, d'où personne n'a pu se sauver à temps. Les jolies maisons aux toits en forme de tête de cheval, la fierté du village, sont détruites.

Les écoliers venaient de rentrer chez eux. C'est une chance selon certains. Vraiment ? se dit-elle.

Un homme aux vêtements déchirés vient leur dire de sortir. Il n'y a plus à rien à craindre maintenant et on manque de bras pour aider à trouver les survivants.

Tout le village doit se retrouver dans l'entrepôt de thé, le seul qui tienne encore debout.

Na Yeon recherche parmi toutes ces têtes brunes une petite tête avec des lunettes et un grand sourire franc. Ce groupe de jeunes, là ! Le cœur battant Na Yeon touche une épaule, mais ce n'est pas lui.

Il n'y a aucune trace de Lu Han.

Na Yeon aperçoit leur petite voisine Ji Hyo. De l'âge de leur fils, calme et sage, Ji Hyo a réussi à sortir à temps de chez elle quand elle a entendu ce bruit de fin du monde, comme elle dit.

Pourquoi Ji Hyo est-elle ici, en sécurité, et pas mon fils ? se dit Na Yeon. La honte lui monte au visage et lui fait baisser la tête. Bien sûr qu'elle est heureuse qu'Ji Hyo soit saine et sauve !

Je pense que Lu Han est un peu amoureux d'elle. Je le comprends. Son visage délicat respire la bonté, j'ai envie de me blottir dans ses bras et de pleurer.

Il est minuit, certains dorment allongés sur le sol de terre. Dans la lueur des bougies, Na Yeon écoute. Tout est si calme à présent.

L'odeur du thé entreposé est envoûtante. Des effluves amères irritent les narines de Na Yeon et lui donnent une légère nausée.

On a retrouvé quinze personnes blessées dans les décombres, mais au moins quatre-vingts personnes ont perdu la vie. On n'a pas encore tous les noms.

Na Yeon ne veut pas croire au pire.

Les pompiers arriveront demain et pourront, avec leurs gros moyens, dégager les ruines et libérer des survivants emprisonnés. Pour le moment les routes sont impraticables et il fait trop noir.

Elle se laisse couler sur la terre battue et ferme les yeux.

Lu Han, mon enfant, mon fils, mon amour. Mon cœur est enflé d'amour, boursouflé de vie pour toi. Depuis ta naissance, ton souffle continue le mien. Ta peau est la mienne. Tu es une partie de moi comme je suis une partie de toi. Je ne veux que ton bonheur, sans rien en échange.

On ne nous a pas permis d'avoir un deuxième enfant à ton père et moi. Pourtant je ne ressens pas de manque. Un fil nous relie et c'est le fil de la vie.

Des cris. Des hurlements. Une sirène assourdissante me réveille en sursaut.

Les yeux gonflés, le crane vrillé, troué de milles vis, le rythme pénétrant du sang dans ma tête tape et envahit mon cerveau engourdi.

Un homme blessé est déposé près de moi. Son pantalon est taché de sang.

Na Yeon reconnaît alors son voisin..

Jun Myeon habite à deux maisons de la sienne. Il cultive sans machine agricole une partie des champs qui tapissent les nombreuses vallées de Huang Shan, les montagnes jaunes.

Jun Myeon n'est presque jamais allé à l'école car il travaillait aux champs avec ses parents. Il n'a pas pu achever les neuf années d'école obligatoire, comme de nombreux enfants en région rurale.

Pendant de longues heures, sous une chaleur humide suffocante, il laboure la terre et tire la charrue accrochée à son front par une lanière de cuir, comme au moyen-âge.

Na Yeon lui caresse doucement le front et lui murmure des paroles de réconfort. Elle verse sur ses lèvres quelques gouttes d'eau chaude.

Jun Myeon ouvre les yeux et fait signe à Na Yeon de s'approcher. Sa voix est faible 

-Lu Han... Dans le jardin... juste avant... le chat...  Il semble faire des efforts surhumains pour parler.


Na Yeon le presse de questions : 

-Sais-tu où est Lu Han ? Jun Myeon !! Réponds-moi !! Ses cris résonnent dans le hangar mais restent sans réponse. Le pauvre homme s'est évanoui.


Na Yeon essaie de réfléchir calmement alors qu'une poussée d'adrénaline lui secoue les veines.

Au même moment, la petite An entre dans l'entrepôt avec une forme grise dans les bras. Son chat est mort, il a reçu un coup à la tête. An le dépose délicatement sur le sol et s'assoit près de Na Yeon.

C'est une pierre qui a tué le chat, sa mort n'est pas due au glissement de terrain, se dit Na Yeon. Elle reconnaît avec effroi la blessure caractéristique des billes de pierre de la petite catapulte de son fils.

-Je veux t'aider à retrouver Lu Han, lui dit Ji Hyo, s'il jouait dans le jardin juste avant le glissement de terrain, il est peut-être vivant, il a dû se cacher quelque part.  

Une vague d'espoir envahit le cœur de Na Yeon et, comme si elle avait cessé de respirer depuis la catastrophe, elle gonfle ses poumons d'une grande bouffée d'air.

Elles décident de commencer leur recherche du côté du Pic du Lotus, à l'opposé de la coulée de boue.

Le massif granitique de plus de 1800 mètres est majestueux. On dirait qu'une mer de nuages flotte en haut du pic. Na Yeon pense alors au poète Li Bai qui écrivait, inspiré par ce piton : « Si j'avais un pinceau aussi grand, je peindrais la beauté du monde, avec la terre comme pierre à encre, l'eau de mer comme l'encre, et le ciel bleu comme papier. Comme c'est beau. »

Se tenant par la main, elles traversent la forêt de pins. Le paysage bucolique et le vert profond des conifères déposent du baume sur le cœur à vif de Na Yeon.

Des bonsaïs sauvages égaient le sommet des pics rocheux.

Elles contournent les sources d'eau chaude et minérale qui alimentent des piscines naturelles dans la montagne et grimpent des marches de granit.

Tout le long de l'escalier, des cadenas accrochés sur le cordage en chanvre scellent l'union des amoureux. Na Yeon est attirée par un cadenas en forme de L et J entrelacés, serait-ce celui de Lu Han et Ji Hyo ?

Le chant d'une rivière berce Na Yeon. L'endroit est si calme.

Quelques gouttes de pluie se mettent à tomber. Na Yeon remarque au sol un petit objet familier. Le lance-pierre de Lu Han !

Elles sont arrivées à la cascade des neufs dragons.

Neufs chutes d'eau majestueuses, ressemblant à neufs grands dragons blancs perdus dans les nuages, semblent avancer vers elles.

En contrebas de la plus haute chute, les reflets verts et bleus du bassin, appelé le Cœur du dragon, dansent comme chatouillés par la pluie.

Ji Hyo se précipite sous la plus haute des chutes.

Le cœur battant et sans y croire, Na Yeon voit Lu Han courir vers elle. Ji Hyo les rejoint.

-Je suis désolé pour ton chat, dit Lu Han, c'était un accident ! J'avais tellement honte que je me suis caché... 

Na Yeon, bouleversée, le prend dans ses bras et le berce, alors qu'Ji Hyo les protège de la pluie fine sous un petit coin de parapluie...

차 - Twice & ExoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant