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Tout ça, les grands le voient pas. Ca fait bien deux ans que c'est comme ça, deux ans que personne ne bouge, que personne n'y fait rien. Même moi je ne remue pas le petit doigt pour ma propre cause

Maly est venue me parler aujourd'hui. Face à face. Elle m'a dit qu'elle m'aime. Que c'est pas de ma faute. Que j'aurais rien pu faire de toutes façons. C'est bien le problème, j'ai rien pu faire, pas même les dénoncer, pas même en parler. Rien de rien. Elle m'a dit qu'elle ne m'en veut pas, qu'il fallait s'y attendre, que c'étaient les risques de s'assumer, tout ça d'un ton amer. Ses yeux brillaient, ses lèvres se pinçaient, elle mordait ses joues par moments. Je voulais la prendre dans mes bras, la serrer contre moi, l'embrasser, essuyer ses larmes, l'embrasser, l'embrasser, l'embrasser... je n'en ai rien fais. Je savais pas si j'en avais le droit, je voulais pas la brusquer, la braquer.

Je suis restée là, les bras ballants, au même endroit, toujours devant le lycée, au même endroit, tout le temps. Je savais plus ressentir. Je savais plus parler. J'étais juste... vide. Mise à terre. Ses mots ont débranché l'intraveineuse qui filtre mes sentiments en paroles. Je ressens plus, juste un énorme trou qui me bouffe la poitrine et qui engloutit mes sens. Des fois ça fait comme un coup de couteau, comme une pression sur mon plexus solaire, ça me coupe la respiration, je hoquette, je meurs. Une inspiration, un hoquet, migraine, les larmes, la pluie, la morve, inspiration, apnée, les larmes, tout le temps.

"Je crois que sa meuf l'a lourdée. Bien fait. Peut-être que comme ça elle retournera dans le droit chemin. Ca lui apprendra, à vouloir être différente."

Ca fait une semaine depuis qu'elle est venue. Deux depuis l'évènement déclencheur. Autant depuis ma transformation zombique. J'ai droit à un regard fuyant quand je la croise. J'essaie d'attirer son attention. Je la connais depuis deux ans, elle fait partie intégrante de ma vie. Je peux pas me passer d'elle. Du moment où j'ai lu ses messages, j'ai voulu l'apprendre. Elle est fascinante, naturelle, belle, courageuse, honnête, douce et intense. Je pensais pas que ce cocktail était possible.Je l'ai rencontrée virtuellement au début. On discutait tous les jours, on s'appelait dés que possible. J'ai passé près de 7h en appel avec elle, à parler, sans un blanc. Elle a une incroyable faculté à relancer la discussion dés que le sujet s'éteint ; elle parle sans filtres, n'a pas de pudeur, mais il émane d'elle une douceur phénoménale. Je n'ai jamais réussi à m'ennuyer avec elle. Lorsqu'on a commencé à évoquer notre vie matérielle, j'ai appris qu'elle habitait dans le Sud, sans plus de précisions. Etant moi-même sudiste, j'ai osé lui demander plus de détails. Elle a répondu Montpellier. Elle était dans le même lycée que moi. J'étais soufflée, incrédule. Un pur rêve. Je n'avais jamais sérieusement pensé qu'elle était du coin, encore moins dans mon lycée. C'était improbable. On s'est rencontrées dans la semaine.

"Elles étaient ensemble depuis... wow, je sais plus. Je sais juste qu'un jour, la rumeur a circulé que Lou était lesbienne, et qu'on l'avait vu tenir la main à une autre fille, dans le lycée. Et leur harcèlement a commencé. Ils s'en prennent qu'à Lou. Je pense que c'est parce que Maly est un peu la fille parfaite, alors que Lou... C'est un fantôme, elle est tout le temps seule, impopulaire, elle s'habille différemment. Même sans son homosexualité, c'est une cible facile. Il y a trop à lui reprocher."

Naturellement, on l'a caché un maximum de temps possible. On savait ce que ça allait engendrer, on savait comment les lesbiennes sont perçues. Un objet de désir, deux femmes ensemble, vous imaginez bien! La femme n'est bonne que pour la cuisine, et en tant que vide-couilles. Élémentaire. Mettez en deux, et jackpot. Combien de fois j'ai entendu des remarques salaces sur notre passage... Et les autres filles, n'en parlons pas. On pourrait croire à une certaine solidarité féminine, mais non, que dalle. Rejetées de partout, acceptées nulle part. Elles sortent des "Aaah mais t'imagines, brouter une chatte?? Ca doit être dégueulasse! Je veux même pas l'imaginer!", en pensant que je suis sourde. J'ai bien envie de l'ouvrir, de leur foutre un bon coup d'ouverture dans le crâne, de leur montrer que c'est pas dégueulasse. C'est de l'amour. Après, je peux comprendre que ça les tente pas, ou que ça les dégoûte. Personnellement, rien que de m'imaginer avec un bout de viande masculine dans la bouche, je me sens écœurée. C'est pas ce qui m'attire. Mais je vais pas gueuler sur tous les toits et à toutes les hétéros du monde que la bite c'est ignoble. On appelle ça la tolérance, l'acceptation.

Maly me manque putain.

DévianteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant