Il posa ses ciseaux sur la table basse en acajou vernis, à côté de tout le bordel qu'il avait amassé.
Il n'avait pas l'habitude de ranger et ce malgré le fait qu'il se faisait tout le temps réprimander par sa mère sur ce défaut trop arrogeant dans ses actes.
Après des mois de travail, la petite perle rare était enfin terminée. La pièce clé de sa carrière. Ses yeux ne purent s'empêcher de parcourir la matière, surement aussi chère que du cachemire et aussi douce que de la soie.
Car oui, c'était toute sa vie professionnelle qui était en jeu sur cette phase. Il n'avait droit à aucune, mais vraiment aucune erreur sur cette dernière ligne.
Repérant un fil argenté, dépassant l'unité de la broderie, ses mains s'emparèrent des ciseaux, et c'était non sans soupirer, qu'il se débarrassa de l'intrus.
Pendant qu'il admirait, les étoiles plein les yeux l'oeuvre produite de ses propres mains (car il en était réellement fier) son portable vibra au fond de sa poche gauche.
«—Allô?
—Je suppose que tu éprouves aussi le besoin de me laisser planté là, devant ce café? Une voix irritée se fit entendre du combiné.
—De quoi tu parles?»
En fronçant les sourcils, il jeta un coup d'oeil à la montre analogique électronique, accroché à son mur couleur beige-crème.
C'est ensuite qu'il constata que merde, il était effectivement à la bourre.
«—Putain! Désolé mon pote, je n'avais pas vu le temps passer, il s'élança vers la porte immédiatement.
—Nan, tu sais quarante-cinq minutes de retard ce n'est rien!»
Il grimaça, sachant pertinemment que son ami aimait tout sauf les retards sans explications valables, il avait perçu le sarcasme appuyé chez la voix de l'autre. Il fallait qu'il se rachète.
Frissonnant au contact de l'air frais d'automne, il se mit sur route, raccrochant et promettant à son compagnon qu'il allait arriver d'une minute à l'autre.
Puis finalement après dix minutes de marathon à démarche étrange —il ne voulait pas courir, il se tenait enfin devant Keith qui avait l'air pincé, le nez rouge et les mains plongés dans la poche de son manteau marron. Il avait de la peine pour son ami certes, mais la seule chose qu'il put constater c'était qu'il avait oublié son caban or qu'il pelait de froid dehors.
«—Presque une heure de retard? Bravo Logan, c'est un nouveau record, son vis-à-vis esquissa un mouvement pour rentrer dans le petit café en briques rouges.
—Estime-toi heureux que je ne t'ai pas oublié, fit remarquer le concerné qui reçut un regard noir.»
Ils s'installèrent tout deux autour d'une table en verre. Étrange, se dit Logan, mais très classe.
«—Franchement tu es mon pote et je n'en ai rien à cirer que tu aies une ou cinq heures de retard, il leva sa main pour appeler une serveuse, tu travailles trop ces jours-ci. Même les gars du cabaret disent qu'ils ne te voient plus très souvent.»
La jeune femme arriva, leur donnant une carte à chacun et se retira après avoir déclaré des politesses sur le fait qu'elle prendrait les commandes lorsqu'ils auraient décidé.
«—Et Dieu sait que tu avais l'habitude d'y passer des nuits et même des journées entières.»
En se replaçant correctement sur sa chaise, Logan se sentit mitigé. Il était touché par la sincérité de son ami de toujours, mais simultanément, il ne pouvait baisser les bras ou se reposer sur ses lauriers juste au moment où son rêve se concrétisait.
«—Tu sais que c'est important pour moi, c'est une icône pour moi, si elle reconnaît mon travail, je pourrais enfin arrêter de faire mumuse et rentrer dans la cour des grands.
—Oui, je sais, tu me l'as dit au moins une centaine de fois, l'aîné se passa une main dans ses cheveux blonds vénitiens, mais reprends-toi. Tu approches de la trentaine et tu ne t'es toujours pas trouvé une femmelette.
Il partit d'un rire forcé.
—C'est une obsession chez toi de me caser avec tout ce qui bouge? Je suis seul, et mieux comme ça.»
Le ton qu'il avait employé annonçait clairement la discussion close, pourtant l'autre ne cessait de secouer la tête vigoureusement dans un geste d'exaspération.
«—Je sais ce que tu penses de tout ça. Tu penses encore qu'elle va revenir?»
Logan le considéra un instant incrédule. Il savait lire en lui comme dans un livre ouvert, même si pratiquement, il n'était ni un livre ni ouvert.
«—Non, bien sûr que non!
Le blond afficha un sourire suffisant.
—Je suis plus perspicace que ça Logan, voyons!»
Il savait qu'il n'allait pas convaincre son ami —ses aptitudes à mentir étaient plutôt faibles, mais il détestait donner raison à quelqu'un sur ce sujet.
Car oui il était fou de croire qu'elle reviendrait dans sa vie comme une fleur prête à accueillir le printemps, oui il vivait dans sa bulle en faisant croire à lui-même et aux autres qu'ils étaient destinés l'un pour l'autre, mais il y avait droit.
Il pensait en tout cas qu'il y avait droit ne serait-ce que pour rêver.
«—Bon OK, promets-moi juste une chose, il appela de nouveau la femme pour lui dicter leurs choix, il faut que tu reviennes parmi nous après ton soi-disant 'important projet'.
—D'accord, d'accord. J'essaierai, murmura Logan.»
En choisissant son plat complètement au hasard et à la va-vite car il était trop immergé dans ses pensées pour les avoir cohérentes, il se demandait s'il pourrait réellement tenir sa promesse. Puis après un repas trop cuit, il salua son ami et retourna sur son lieu de travail.
C'était plutôt comme un petit cocon accueillant pour lui, où le lustre luxueux, les canapés grenat tirés sur du marron, la table basse assortie à la grande table, la robe trônant en pièce maîtresse au milieu de tout le doux bazar subtil et où la baie vitrée donnait sur le gazon fané, jaune le faisait sentir plus chez lui que dans sa propre maison.
Le sentiment de protection et d'enfermement que cet endroit lui procurait le rendait tout chose, comme si rien ne pouvait l'atteindre, lui, comme son coeur.
Mais il y avait des jours où, tel aujourd'hui, la sonnerie résonnait, jonglant entre les murs épais. Son corps svelte s'élança à travers la pièce puis, il ouvrit la porte.
«—Bonjour, vous êtes monsieur Monterez?
—Oui, répondit-il.
—Le tailleur?
—Lui même, je vous en prie entrez, fit-il en désigant l'intérieur»L'homme s'efface pour avancer dans la salle, laissant apercevoir derrière lui, quelqu'un.
Et ce n'est que lorsque les yeux de Logan se plantèrent dans des yeux marron, un tourbillon de cheveux bruns et des traits familiers qu'il sentit sa respiration se couper et son coeur sembler ne plus battre pendant quelques secondes.
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Fingers Crossed
RomanceIl n'a jamais tourné la page, Elle l'a fait. Ils se rencontrent des années après. Résultat?