Terres d'humanité

Révelation

Je suis née après l'apocalypse.

Les gens parlaient toujours d'un monde que je n'avais jamais connu, et je pleurais pour une perte que je ne comprenais pas. Aujourd'hui, je ne comprend toujours pas cette perte qui semble affecter tellement de gens, mais je sais que nous avons perdu beaucoup de choses.

Un jour, ma mère m'a dit: 《Tu ne peux pas retourner en arrière et changer le commencement, mais tu peux commencer où tu es et changer la fin.》 Cette citation venait d'un homme s'appelant C.S Lewis. Elle ne l'a jamais connu, du moins, pas physiquement, et pourtant, il était son idole. Alors, comment pouvait-elle avoir entendu parler de lui? La plupart de ses connaissances proviennent des livres, et elle n'hésite jamais à partager ce qu'elle savait avec les autres. Comme cette même journée, elle nous a raconté pour la première fois comment les gens vivaient avant la guerre.

Je me rappelle encore mon petit frère s'exclamer:

- Maman, maman! Dis, c'est vrai que les gens avaient plus de nourriture que ce qu'ils pouvaient avaler? Et moi de renchérir:

Papa, maman, pourquoi on a rien su avant? J'veux tout savoir, allez, s'il te plaît!

Je nous revois encore, sautillant dans le salon comme si on recevait des bonbons. Maman essayait de nous calmer, mais l'excitation d'apprendre nous en empêchait. Il a fallu que notre père nous gronde pour que les petites sauterelles que nous étions à l'époque se calment et daignent s'asseoir au sol. Mon père s'installa sur un vieux tabouret de bois tout près de la chaise berçante de ma mère.

- Allons, Aleixei, Edmund, vous allez tout savoir, de toute façon vous savez que vous me faites craquer avec vos yeux de chiots. Alors, voyons ce que je peux trouver...

Elle se leva de sa chaise berçante, placée dans un coin tout près du foyer. Avec le feu qui ronflait aussi haut et dégageait autant de chaleur, je pouvais savoir que la température extérieure était glaciale, même sans fenêtres, et même du haut de mes dix ans. Mon petit frère en avait alors cinq. Elle fouilla un peu dans la bibliothèque pleine à craquer de livres plus vieux les uns que les autres située entre le foyer et la table, en choisis un, et vint se rasseoir.

- Bon, commençons par le début. Vous savez probablement que nos ancêtres avaient de l'eau qui coulait simplement en ouvrant le robinet, mais savez vous aussi qu'il y avait un temps où il faisait très chaud dehors pendant de nombreux mois, et que l'on appelait ce moment 《l'été》?

- C'est quoi l'été?, mon petit frère demanda.

- Elle vient de le dire, gros bêta!

- Allons, allons, ma réponse n'était pas précise de toute façon. Eh bien, vous voyez, c'était de longs mois où le Soleil produisait tellement de chaleur que l'on pouvait sortir dehors sans porter de manteau, et que les rivières n'étaient jamais gelées. En fait, il faisait tellement chaud que dans certaines villes le bitume fondait, et que les gens avaient la peau rouge et douloureuse après une trop longue exposition à l'extérieur. Ce devait être très dangereux. Les gens utilisaient alors de vastes espaces de terre pour faire pousser toutes sortes de plantes, comme du blé pour faire de la farine, ou des pommes pour faire des tartes. Aujourd'hui, nous gardons une petite partie d'été en dessous du sol.

- Pourquoi en-dessous du sol? Maman, est-ce qu'un jour l'été va revenir?

Mon père me regarda du coin de l'oeil, avec sur le visage une expression que je ne pouvais pas comprendre, tandis que Edmund, étant moins subtil, me regarda carrément comme si je provenait d'un autre continent. Ma mère s'en aperçut et les gronda aussitôt:

- Voyons, Edmund, Charles, ce n'est pas une façon de faire! Aleixei, tu sais très bien que le monde ne sera jamais plus comme avant, alors cesse ces questions qui ne servent à rien.

- Et tu devrais t'en rappeler, petite, ce n'est pas la première fois qu'on te le dit. Plus vite tu l'accepte, mieux cela sera. On ne peut tout simplement pas changer ce qui était destiné à être.