Mes yeux parcourent les douze joueurs sur le terrain, et trouvent les iris bruns d'un garçon me fixant. Son regard est glacial, assombri par ses traits durs. Ses cheveux sont châtains clair et tombent sur son front, il passe sa main dedans pour les écarter de sa vue en serrant les mâchoires. Je découvre grace à ce geste le tatouage sur son poignet et fini par remarquer les nombreux traits noirs ancrés dans sa peau. Les dessins ne s'arrêtent pas à ses bras mais ils remontent jusque son cou où je peux très clairement voir une rose.
Sa démarche nonchalante pour rejoindre le terrain tout en me fixant ne fait que renforcer ce qu'il dégage. C'est d'ailleurs étrange car j'ignore comment définir ce qu'il renvoie. Il semble avoir confiance en lui, je ne décèle pas de trace d'angoisse dans ses traits, il a l'air comme hermétique à ce qui nous entoure et le temps d'un moment j'ai la sensation d'être enfermée sous une cloche, seule, en face de lui. Les bruits du gymnase me semblent lointains, futiles, je ne peux que rester collée à son regard, comme hypnotisée.
Il se dresse de toute sa hauteur, les épaules complètement détendues, et il ne me quitte toujours pas du regard. Mon estomac se tort et je me défile, je n'ai pas pour habitude de lâcher la prise lors de ce genre de situation, mais je ne peux supporter son regard pénétrant, c'est comme s'il me transperçait.
Lorsque mes yeux reviennent à lui, c'est pour le voir parmi ses coéquipiers, faisant leur cri de guerre comme s'ils avaient besoin de se motiver pour un combat dans lequel ils joueraient leur mort. Quoique cela me semble absurde, je réalise qu'ils portent tous les maillots de la meilleure équipe présente à ce tournois. J'avais déjà entendu parler d'eux, mais jusqu'ici, je n'avais jamais eu l'occasion de les voir jouer.
A nouveau, son regard se plante sur moi pour quelques secondes, trop longues pour seulement être le croisement de nos regards, seulement quelques secondes insistantes avant que l'arbitre ne siffle le debut du match. Je suis assise, et, sentant des fourmis me remonter le long des jambes, je décide de me lever.
Je n'ai jamais vraiment aimé crier, mais dans le cadre des matchs, je me sens obligée de consacrer mes poumons à l'encouragement de l'équipe appartenant à mon club, alors je crie, j'encourage, j'essaie de les motiver. Au bout de trois services pour l'équipe du garçon tatoué, nous reprenons la main pour quelques points, de courte durée puisque le service leur revient presque immédiatement.
Finalement, le passeur de l'équipe lève la balle pour le tatoué et celui-ci s'élève dans les airs, armant son bras parfaitement dans l'axe pour venir envelopper la balle et la planter avec une force incroyable entre le filet et la ligne des trois mètres. Le garçon me jette un coup d'oeil et un petit sourire en coin nait sur ses lèvres lorsqu'il voit que j'ai soudainement la voix coupée. Mon estomac se retourne à nouveau, et Emilie me dit tout doucement:
« Prems, pour le numéro 7. »
J'acquiesce, avalant difficilement ma salive en essayant de réhydrater ma bouche devenue sèche.
« Aller, viens, il faut qu'on aille se changer ou le coach va nous tuer! Ajoute-t-elle en me tirant vers les vestiaires. »
Je ne peux m'empêcher de tourner une dernière fois la tête vers le garçon, croisant à nouveau son regard insistant sur moi, comme déçu que je ne reste pas. Lorsque je reviens quelque minutes plus tard, mon maillot sur moi, mes cheveux attachés et prête à me défouler, il me regarde à nouveau et semble quelque peu surprit que je sois habillée de la sorte. Après ce bref passage d'émotion, il se concentre sur le match et plante à nouveau une attaque au beau milieu du terrain.
En rejoignant mon équipe, je ne peux que revoir son regard en boucle, sa démarche, son attitude, ressentir ce qu'il dégage, et la férocité qui semble émaner de tout ses pores. Le coach me sort de mes pensées, je me ressaisis et essaye de faire abstraction de cette étrange sensation qui m'enveloppe et vole toute ma concentration. Je laisse mon esprit de compétitivité reprendre le dessus et je me plonge dans mon match la tête la première, parce que je ne compte pas m'approcher de ce type.
A l'approche de la fin du dernier set, une voix roque et imposante s'élève dans mon dos, encourageant l'équipe adverse alors que ma balle fondait à toute vitesse au milieu du trou béant entre les joueuse ennemies. Une fois mes deux pieds au sol, je me retourne pour repérer d'où venait cette voix et mes yeux rencontrent le sien, mon estomac fait un salto arrière et je me retourne vivement, sentant mes joues s'enflammer lorsqu'il détaille mon corps sans se cacher. Je tire sur mon teeshirt, puis sur mon short, serre la queue de cheval et tente de reprendre pied dans le match.
Un point et nous remportons le point contre l'équipe féminine du même club que le garçon aux tatouages. Je me retrouve à la passe, ma coéquipière place un service smashé, en face, les filles construisent, une belle reception, une passe bien haute pour une attaquante plutôt grande et musclée, abattant le ballon dans le fond. En reception, ma coéquipière assure et me revoie une balle presque parfaite puisqu'elle se trouve un peu trop dans le filet. Impossible de récupérer la balle sans faire de faute, alors je pousse la balle juste derrière le filet d'un petit coup de main entre les bras de la fille au bloc, marquant le point in extremis.
Nous nous mettons à sauter en rond en criant, heureuses d'avoir remporter notre premier match. Je fini par regarder à nouveau autour de moi et tombe sur lui. Je ne me défile pas, je soutiens son regard, enfermée dans cette sorte de bulle insonorisée, et d'un coup, son regard glisse ailleurs, interpellé par son coéquipier.
C'est une toute nouvelle sensation qui m'envahit. C'est comme lorsqu'un bruit apaisant est constant, il est present sans interference pendant une durée indéterminée et on en savoure chaque secondes, et puis.. Lorsqu'il s'arrête, on en veut encore. C'est exactement la même chose. Malgré moi, je ne demande que ça, et c'est une envie qui m'est étrangère, je ne suis pas familière avec l'envie d'être regardée; si tant est qu'il s'agisse bien du fait d'être regardée ou de la sensation étrange que cela procure en moi.
Après cela, nous enchainons les matchs, sans possibilité de décrocher à part pour l'heure du repas. Nous nous dirigeons toutes vers les terrains garçons et j'attrape mon sandwich avant de m'asseoir pour regarder un nouveau match. Notre équipe masculine ne joue pas, alors je me dirige vers l'autre terrain, espérant secrètement croiser le garçon tatoué, sans succès, il semble avoir disparu. Je prend ma gourde et me dirige vers les vestiaires pour la remplir, puis, je sors prendre l'air.
La difference de temperature entre l'intérieur du gymnase et l'extérieur me fait grelotter quelques instant et je mord dans mon sandwich en savourant ce rafraichissement extrême de la temperature de mon corps. Au loin, je perçois néanmoins une silhouette se profiler. Il s'est changé et porte désormais un gros jogging et un blouson bien chaud. Je sens mon ventre se tordre et mes joues se mettent à bruler, surtout lorsque ses yeux se posent sur moi. Je m'embrase immédiatement malgré le vent froid qui vient fouetter mon visage.
Avant qu'il n'arrive, je rentre rapidement et tente de m'échapper pour ne pas qu'il voit à quel point il me déstabilise rien qu'en me regardant, mais il est sur mes talons.
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Black Feathers
RomanceIl n'y a pas réellement de moyen de resumer le contenu de cette histoire, puisque moi même, j'ignore où elle mènera, pourtant je peux vous assurer une chose: je n'ai jamais été aussi vivante.