Chapitre 1

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Vingt-deux ans plus tôt

Cette soirée-là, une pluie battante présageait peut-être une heureuse nouvelle. La naissance prochaine d'une AHOÉFA (Porteuse de quiétude) se dessinait à l'horizon. En effet, c'était plus qu'une espérance pour ce père qui vît naître six fils sous son toit, mais qui n'en demandait pas plus qu'un miracle pour la naissance d'une fille. Le septième enfant ne pouvait que répondre à ses attentes, car ce chiffre non seulement était sacré mais symbolisait également l'esprit de la féminité dans la croyance traditionnelle dont il était issu.
La fraîcheur de cette pluie serait alors un énième signe qu'une reine allait enfin naître pour mettre fin à cette marmaille de fils, que lui fabriquaient ses deux femmes. Puisque d’après lui c'étaient ses épouses la cause de ce problème. D'ailleurs en ces temps-là, les femmes portaient à tort la calebasse de tous les malheurs et le père Foli jugeait les siennes de tous les noms. «  Donnez-moi une fille pas des couilles ! » chantait-il à longueur de journée lorsqu'il rentrait du rideau blanc (Buvette de Sodabi) très tôt après avoir irrigué son organisme d’alcool.
Cette fois c'était sa seconde épouse qui était en train d'accoucher son septième enfant, « Une fille ! Une fille ! Cette pluie est un signe des dieux » répétait-il à voix basse tout en exécutant des allers-et-retours dans le couloir du nouveau Centre de Santé de Vogan. Le père Foli avait déjà concocté des noms pour sa fille. Son obsession pour cette naissance rendait vive ses émotions. Juste que malgré sa grande foi et son espérance, une graine de crainte germait au plus profond de sa conscience. Car Voyez-vous, pour un homme déçu à six reprises, le doute ne pouvait que laisser des séquelles fantômes, qui se réveilleront à chaque fois que la foi cherchera à se faire de la place. Sa première épouse qui également les accompagnait l'avait invité à prendre place à ses côtés, mais ce dernier sans réagir préféra continuer ses va-et-vient, laissant trainer ses tapettes dont le bruit, mélangé à la musique qu'offraient les gouttes d'eaux sur les tuiles, devenait gênant pour les autres patients.
     Une demi-heure écoulée, une jeune infirmière se pointa enfin.
—  Monsieur NOUSSOUKPOE ? Demanda-t-elle en promenant les yeux sur ces hommes et femmes qui espéraient leurs malades.
—  Oui Madame, répondit ce dernier le cœur prêt à quitter sa demeure.
Il finit par se rapprocher tout en espérant ouïr le mot "fille".
—  Monsieur, félicitation ! Vous avez un nouveau-né, continua l'infirmière.
—  Ça j'en étais sûr, mais est-ce une fille ? Demanda-t-il la gueule ouverte, ce qui donnait l'impression qu'il quémandait une réponse capable de délivrer ou de condamner ses espoirs.
—  Non, un beau gars. Mais avez-vous une préférence ? Interrogea la dame qui avait l'habitude de ces questions de la part de ses patients.
Cette réponse assourdit le père Foli. Son visage gagna d'un coup des rides de vieillesse, et son regard vidé d'espoir devint alors terne. Sans rendre visite à son nouveau-né, il quitta le Centre de Santé sous cette pluie battante, la même qui lui fit penser à un signe annonciateur de bonheur, envoyé par des dieux. À présent, elle s'abattait sur sa tête et finit par le mouiller. Comme le dit ce dicton << Qui prie pour qu'il pleuve doit faire avec la boue >>.   

[...]

N'ayant plus envie de rentrer chez lui pour retrouver ses six autres fils, il se réfugia chez la belle Massan. Sa nouvelle concubine, dont l'entre-jambe lui servait de refuge chaque fois que ses deux épouses mettaient feu à sa demeure. À Massan, il loua une chambre à seulement deux kilomètres de sa concession et avait mis tout à sa disposition. Aussitôt entré, il se débarrassa de ses vêtements trempés, laissa que son short sur le corps, puis s'assit dans une chaise sans laisser échapper le moindre mot, malgré les interrogations de sa jeune demoiselle.
Un instant après, il fixa cette dernière et lui dit d'un ton autoritaire :
—  Je veux que tu me fasses une fille !
—  Ah oui ? Nous revoilà encore dans cette histoire de fille. Mais ce n'est pas croyable ! A ma salutation tu ne me réponds pas, je demande ce qui ne va pas et tu m'offres toujours le silence. Puis lorsque tu ouvres ta bouche c'est pour me parler de fille. Pourtant je t'ai déjà dit que je peux te faire une fille, une vraie, pourquoi tu ne te décides pas ? Débita-elle en retour d'une douce voix, mais dans laquelle elle mit du cœur.
La jeune Massan avait en réalité l'âge d'être la fille du père Foli. Mais l'âge dit-on, n'est jamais un obstacle en amour lorsque les billets s'affirment.
—  Je ne voulais qu'une fille, mais me voici avec quatorze couilles. Sept garçons, ça me fait Sept à présent, t'en rends-tu compte ? Demanda-t-il d'un ton désespéré, la tête entre les mains.
—  Comment sept ? A-t-elle enfanté ? Interrogea Massan, qui comme toutes femmes du dehors, était au courant de tout ce qui se déroulait entre les murs du père Foli.
—  Bah oui ! Je sors comme ça du Centre de Santé, et je n'ai eu le courage de voir ni la tête ni les couilles de cet énième fils qui venait de naître.
—  Tu exagères. C'est quand même un innocent ce nouveau-né. En tout cas, tu es le seul qui décide, moi je suis disposée à te faire cette fille dont tu rêves tant.
—  Alors faisons une fille, répliqua le père FOLI en quittant sa chaise pour rejoindre sa belle dame qui n'espérait que le coup de grâce.
Notre homme n'eut pas manqué d'évacuer toute sa haine et son désespoir au contact de celle-ci. Aussi cette fraicheur rendit les mouvements de plus en plus accomplis, malgré la cinquantaine, le père Foli avait gardé les allures d'un jeune étalon. Tout alla vite, les respirations finirent par retrouver leur rythme. Ce fut la première fois qu'il lui fit l'amour sans protection.
La belle Massan tenait un commerce d'haricot, dont le capital avait été déboursé par le père Foli, lui fonctionnaire d'État, Inspecteur du primaire et dont la retraite était prévue pour cette année. Eh oui, comme on le dit au quartier : "le vieux a fait son temps."
C'est quand même fou, comme l'homme peut être obsédé par l'envie d'avoir ce qu'il ne contrôle pas. Le père Foli était entré dans l'univers de la polygamie par ce désir ardent, et cette fois encore il demandait à une troisième femme de lui procréer une fille, qu'il eut cherché des années durant.
Après l'acte, il quitta le lit, porta ses vêtements qui toujours étaient trempés.
—  Ma chérie, je retourne chez moi en enfer, tu prends soin de toi, dit-il en boutonnant sa chemise.
—  Ne fais pas cette tête, tu auras ta fille, le rassura Massan qui s'était déjà recouverte de pagne.
—  Tu sais quoi ? Je te tromperais si je te disais que j'y crois ne serait-ce qu'une seconde. D'abord tombe enceinte ! Ordonna-t-il comme si sa parole était divine.

Mais Massan de son lit, le regardait sans placer mot, car elle forgeait déjà un plan pour faire naître une fille.
Ne soyez pas surpris du verbe "faire" lorsqu'on parle d'une naissance en Afrique, puisque nombreux sont ces hommes qui avaient mûri l'idée selon laquelle, la femme décidait ou du moins qu'elle était capable de choisir le sexe de sa procréation. Et Massan assumait dans le silence le poids de ce verbe, elle se sentait capable de "faire une fille". Contrairement à ce que croyait le père Foli, cette dernière ne lui donnait pas un espoir fondé sur le néant, comme ses deux autres femmes. Massan, elle autre avait déjà l'idée de ses fondations, elle savait par où fouiner pour "faire cette fille".

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11/02/2019

ORIGINE [ Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant