How Earth makes love to the Moon

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Lunaire à été écrit à la suite de plusieurs crises de boulimie. 

                      Je ne me souviens pas de la première fois que j'ai vomis. Je vois encore les masses sombres s'écouler de ma gorge, mes ongles racler contre mon oesophage, ma langue se courber pour laisser passer le contenu de mon estomac. Les contractions de mon abdomen, le sang qui me monte à la tête, les poumons suffoquant qui avec peine se remplissent d'air. Je cherchais à me vider, à me remplir et à vider encore. Comme on respire, comme on inspire profondément pour calmer un frisson, je plantais mes phalanges dans mon être pour en extirper les boyaux. Et plus je m'aventurais dans les abysses de mon organisme, plus le butin était pâle, pour finir translucide, et si brûlant que mon corps ne pouvait le supporter. Alors je m'effondrais, assoiffée, essoufflée, vide. Et je recommençais.

La terre tournait si vite sous mes pieds que je m'écroulais. La tête appuyée contre le carrelage, je m'agrippais au tapis. Mon corps tout entier tremblait. Mes dents claquaient et leur son se déployait en écho dans mon crâne. Ma peau était brûlante, mes mains était brûlante, ma bouche était brûlante. Je me confondais en flamme et me pressais sur le sol pour en absorber la fraicheur. Je crois avoir perdu le temps. Le flou envahissait mes yeux, mes tempes tremblaient si fort, et bientôt la nuit m'englouti toute entière.

"Respire. Doucement, respire. Non non, ne panique pas, tout va bien. Touche ton coeur, tu le sens encore ?

- Il est trop rapide. Je glisse...

- Contente-toi de respirer. Mets-toi sur le dos, voilà, c'est bien. Fais-toi confiance, tu vas t'en sortir. Laisse tes poumons libres, tu sens comme ils se gonflent ? Ne cherche pas à les contrôler. Détends-toi, doucement... Ne pleure pas, c'est fini... C'est fini... Je suis fière de toi."


              Les yeux clos.

Pourquoi est-ce que je revoyais cette scène ? Pourquoi est-ce que mes souvenirs se mélangeaient. Des cris, des rires, les deux s'assemblaient sans cesse. J'hurlais je m'en souviens. Et des larmes chaudes coulaient sur mes joues. Elles entraient dans ma bouche, imprégnaient ma salive, mon nez se bouchait aussi.

"Arrête !"

Le seul mot que je répétais. Je les suppliais, ça les faisait rire. "Arrête, arrête" comme une prière. Un réflexe. Il tournait en rond dans mon crâne. "Arrête" mais ça ne changeait rien. Ma voix était ma force, l'entendre me rassurait. L'entendre les faisait glousser. Idiote. Et la scène s'évapore, laissant un autre temps la piétiner. J'étais trainée au sol. La tête dans une flaque, le bitume rasant mes mains et mes joues, un pied dans le dos. Vicieux, sale, malingre qu'était ce pied qui me poussait. Les bras tendus en avant, la bouche entr'ouverte, j'ai entendu les graviers crisser contre ma chair, entrer dans ma peau et se loger dans ma paume. Un cri sourd s'élevait d'entre les arbres. Les autres enfants jouaient au loin. Le regard des professeurs, chaud sur ma nuque, me faisait sentir le poids de leur désinvolture. À genoux, les mains dans la boue, les collants collés aux cuisses, je ne sentais plus les larmes. Elles étaient sèches, inexistantes. Seul le souffle chaud qui glissait entre mes lèvres me ramenait à la réalité.

Et ça a continué. Chaque jour. Chaque mois. Un pied, une main, un mot. On m'a tiré les cheveux, pousser, cracher au visage. On m'a tenu les poings, tenu ailleurs, retenu de tout hurler et on m'a hurlé que je n'étais pas assez. Pas assez. Pas assez. Invisible surement, car je n'étais pas là déjà. Des portes dans le nez. Des chaises envolées. Des regards, moqueries, chuchotements, rumeurs qui se mêlent au boucan des cours. Et le ciel au dessus de moi, impassible. L'enfer sur Terre, et le paradis me narguait. La lumière trop violante perçait mes yeux et des milliers d'étoiles ont arraché ma conscience avant que je ne tombe.

LunaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant