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JADE

C'est une douleur aiguë, presque impossible à décrire, que de perdre tout ce qui a jamais compté pour nous. Et, lorsque nous sommes seuls, devant le néant qu'a laissé la perte, il ne reste plus rien, juste l'ombre de nous-même. 

Ma tante et mon oncle sont venus me chercher à la gare de Rustington, au Sud de l'Angleterre, là où il y a la mer. Originaire de South Shields, une ville côtière au Nord-Est du pays, je suis habituée à plus de monde : en effet, passer de 75'000 habitants à tout juste 13'000 ne m'enchante pas plus que cela. Pourtant, mais tante Charlotte est la seule famille qu'il me reste en Europe. Armée de ma valise, je les attends d'un pied ferme.

Je n'ose même pas rendre son étreinte à ma tante lorsqu'elle m'enlace : les larmes montent immédiatement à mes yeux mais, faute d'avoir trop pleuré, plus rien ne sort. Charlotte est quelqu'un de très chaleureux : sous ses allures de bonne infirmière à la tignasse blonde bouclée, elle peut être très ferme lorsqu'il le faut. Soeur de mon défunt père, elle a deux enfants qui sont partis de la maison pour aller à l'Université à Londres. 

Et me voilà à présent.

Le voyage en voiture de la gare au cottage de Charlotte, qui certes ne dura que cinq minutes, se fit dans un silence affreux. Nous ne parlons pas plus lorsque nous montons nos affaires, avec l'aide de son petit ami de longue date, Fred. Elle avait aménagé l'ancienne chambre de sa fille, l'aînée, avec des couleurs que j'aimais - du gris, du vert émeraude - et les meubles semblaient neufs. Je la remercie doucement, tandis qu'elle hoche la tête et m'enlace une seconde fois. 

Elle prend mon visage entre ses mains. 

"Tout finit par passer, tu verras." elle susurre, tandis que je me raidis. Le sentant, elle retire ses mains. "Reste forte, et tu es ici chez toi : profites-en pour prendre un nouveau départ."

J'hoche la tête. 

Une fois seule dans cette chambre - qui, à part un lit, une armoire et un bureau, est vierge - je m'assieds sur le rebord de la fenêtre, où Charlotte avait aménagé un espace de lecture, soit des coussins et une lampe de lecture. J'esquisse un sourire : j'ai, dans mes cartons, tous mes livres de philosophies, dans lesquels je me noie sans cesse lorsque le monde réel ne me convient pas. 

J'abandonne mes cartons, n'ayant ni la force ni le courage de les ranger maintenant. Je sors quelques t-shirts, pulls et pantalons, et m'assieds sur le bord de la fenêtre. Charlotte a laissé un oeuvre de Leibniz, qui me fait rouler les yeux au ciel : 'Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes', mon cul ouais. Secouant la tête, je me mets tout de même à le lire.

Ma fenêtre entre-ouverte me laisse entendre des voix qui s'élèvent dans la rue, sur laquelle j'ai la vue. Intriguée, je me mets à chercher les propriétaires des voix. Je vois une fille blonde, en train de se disputer avec un noiraud. Ils font de grands gestes, mais je ne peux entendre ce qu'ils disent. Après un petit moment, le garçon remarque que je suis à la fenêtre et, tandis que je fais semblant de lire, ils s'éloigne rapidement. Je fronce les sourcils : j'espère que ce ne sont pas ce genre de personnes qui seront au Lycée avec moi. 

Je soupire : la rentrée, pour moi, se fera avec deux mois de retard. Autrement dit, tout le monde saura que je n'appartiens pas à cette ville...

More Than WordsWhere stories live. Discover now