Prologue

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La pluie ruisselait doucement entre ses doigts, ses mains blanches et immobiles, glacées par le vent froid de novembre. Les gouttes s'écrasaient sur ses paupières closes, délayant la poudre violette en une fine traînée mêlée de sang et de larmes, qui coulait dans ses boucles blondes, sur son visage inerte, jusqu'à former une flaque sous son visage. Ses cheveux s'évanouissaient sur le trottoir, emmêlés de sueur et de pluie, se mêlant aux rainures des dalles qui luisaient à la lueur du soir, fuyant sur la chaussée humide comme les tentacules d'une pieuvre, ou les racines du mal qui s'enfoncent dans la terre et qui la tuent. Ses cils battirent très légèrement, et elle entrouvrit les paupières. Les gouttes s'écrasaient sur ses iris d'un noir sombre et intense, où seules se reflétaient les étoiles du ciel de la nuit. Ses iris absorbaient l'eau du ciel, sans ciller, sans un battement, figés dans la contemplation du vide. Sa bouche entrouverte était enflée, mordue, sanguinolente, ses bords charnus ouverts par de multiples plaies minuscules et acérées comme des épines de rose, que n'apaisaient pas sa langue asséchée. À côté d'elle, sur le trottoir, luisait une dent souillée de sang.

Et ses iris étaient plus noirs que la nuit.

En observant la nuit, elle ne pensait à rien. Elle ne sentait rien, ni le froid, ni la pluie, ni la douleur. Les dalles lui esquintaient le dos, et ses jambes aux collants effilés, mais rien de tout cela ne troublait le lac silencieux de son esprit. Elle se sentait aspirée par la profondeur de cette nuit, par le lointain de cette obscurité, comprenant pour la première fois combien le ciel était profond et ample, combien il l'entourait, combien elle tournait, et tournait, et tournait sur elle même, sans rien à quoi s'accrocher. Elle réalisait combien elle était minuscule, seule, tordue sur ce trottoir, et que si ces dalles venaient à disparaître, elle tomberait sans fin dans l'obscurité.

Et ses iris semblaient devenir plus noirs encore, comme les ailes d'un corbeau, d'un noir d'encre, deux gouttes d'encre qui se seraient écrasées dans ses yeux et qui mouraient dans un évanouissement.

Et tout au fond d'elle, alors que dans ces yeux se répandait ce noir brûlant, naissait l'ombre d'un sentiment. Sang, sueur, larmes, pluie, ciel se confondaient sur son visage, continuait de couler sur le trottoir, entre les dalles, inlassablement, comme une rivière née dans le silence de la solitude. Son corps inerte s'animait de la lueur d'une cendre, attisée par le vent, plantant ses racines naissantes dans ses veines, empoisonnant son sang. Son corps s'embrasait peu à peu de cette minuscule cendre, minuscule comme une étoile dans la nuit. Le feu se propageait dans tout son être, dans les recoins les plus reculés de son cœur, qu'elle sentait battre dans les meurtrissures de ses lèvres. La flamme s'enracinait jusque dans ses boucles emmêlées, jusque dans la pluie qui s'écrasait sur son visage brûlant. Ses doigts tremblaient sous les coups de cet incendie qui ravageait chaque parcelle de sa solitude, de son silence, de son immobilité.

Et ses iris se noircissaient encore, plus profonds, plus intenses, enflammés de ce feu, luisaient comme des flambeaux, qui avalaient l'obscurité.

C'est ainsi que naît le feu de la haine. Aucune colère n'est plus sourde. Il se tapit dans les recoins de l'esprit comme un fauve, un loup qui ne crie pas, méditant l'heure de sa grande fulgurance, ourdissant en silence l'éclat de son seul et ultime spectacle, toujours à pas chaloupés. C'est un feu froid, qui ne se tarit jamais, qui est toujours assoiffé de douleur. Le feu d'une femme brisée sur le trottoir, brisée de ne plus savoir pleurer.

Elle serra entre ses doigts la bague à tête de lion.

Le ProcèsWhere stories live. Discover now