Une flamme lécha le bras de l’ambassadeur. Il lui semblait qu’un feu des plus agréables l’avait pris à ce contact continu, que la lecture du roman qu’était Thorn pouvait commencer.
La couverture en était froide, sèche, comme reliée d’argent, tenant sa main d’une poigne mal assurée. Les boutons de la veste de Thorn effleuraient l’intérieur de son poignet. Il caressa la paume de Thorn de son pouce – un mouvement doux, au creux de leurs deux mains enlacées, invisible à tout observateur.
"Tout ira bien," lui murmura-t-il, ignorant le tressaillement de l’intendant.
En même temps, il chercha dans son propre esprit, fouillant à la recherche de son fil. Pour lire un bon roman, il fallait être seul. La Toile se déplia autour de ses propres pensées, vaine, acerbe, un typique comité d’aristocrates. Ses sœurs en particulier ruminaient, closes dans leurs chambres; il sentait leur frustration de ne pas pouvoir assister à un bal, le bâtard Dragon fût-il présent.
Il tâta la haine que sa famille lui prodiguait en cet instant, et s’en délectait. Cette antipathie s’accrût jusqu’à provoquer des étincelles dans sa propre tête. Bien. Il poussa le bouchon un peu plus loin; main dans la main avec Thorn, il se mit à imaginer les choses les plus scandaleuses, les plus invraisemblables possibles. Non pas au sujet de ce dernier, oh que non, mais plutôt au sujet des hommes en général. Il s’agissait de dégoûter ceux avec qui il partageait ses pensées, rien de plus.
Enfin, son fil se tendit, s’échauffa, et, lentement, devint moins net, comme perdu dans le brouillard. C’était toujours une sensation de paix et d’une douce euphorie, d’une solitude enivrante dont il se délectait. Une vie, une liberté, une vraie. Le fil n’était pas coupé, mais endormi. Ne disait-on pas que l’amour unissait, que l’amour chauffait? Eh bien, la haine, donc, séparait, refroidissait.
Une chaude nuée l’envahit de toute parts, son pouvoir suffoquant de cette absence, cherchant à s’accrocher à toute âme autour de lui. Archibald étouffa néanmoins cette urgence, se forçant à se concentrer sur ses alentours. Sur Thorn.
Prélude d’une nouvelle danse, une agréable mélodie se leva. Il reconnut parmi les notes chaleureuses les arpèges cristallins d’une harpe, les ronronnements de violons et de leurs parents plus imposants, les violoncelles et les contrebasses; de suaves vibratos ornaient les tons des flutes, et un pianiste passionné libéra des accords ronflants de son instrument. Comme l’humble flamme d’une bougie, comme la belle neige de l’arche, la musique enveloppa les deux hommes.
Thorn et lui se placèrent parmi les autres danseurs, quelque peu confiants, quelque peu déroutés, et, lorsque les élégantes notes d’un violon se firent de nouveau entendre, une valse lente, gracieuse, merveilleuse commença.
Il posa sa main droite fermement sur la côte gauche de son partenaire, l’autre toujours enlacée, et le guida gentiment dans leurs premiers pas. La main gauche de Thorn se fit plus ferme également sur son épaule, une prise qu’il n’aurait jamais oser imaginer auparavant.
Tout se déroulait comme dans un rêve – un peu plus que cela, même, comme Thorn avait l’habitude de dire. L’intendant tant convoité, avec lui, dansant avec lui, c’était splendide, inimaginable – et pourtant bien réel! De plus, se souvint-il, si tout se passait bien, il obtiendrait bien plus qu’une danse par après.
Thorn était un danseur talentueux. Sa raideur habituelle se mariait étonnement bien avec les courbes gracieuses de la valse, de sorte que l’intendant se mouvait avec élégance, avec cette espèce de charme sauvage qu’avaient les forêts de Mitgard, au sud de l’arche.
Tout chez lui, d’ailleurs, évoquait le mélange de magnificence et d’austérité du Pôle. Les cheveux pâles brillant comme de l’ivoire sous la lumière douce des lustres, les yeux argentés comme des étoiles au milieu de cette peau étiolée, les traits fins, abrupts.
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Une larme sous les lustres
FanfictionUn bal au Clairdelune. Un ambassadeur. Un nouvel intendant. Des espoirs insensés, un amour fou, et une nuit pour tout réaliser. Archibald×Thorn